La journée nationale de lutte contre le sexisme a été célébrée pour la première fois en France le 26 janvier dernier.
Quelques jours auparavant, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a publié son sixième rapport annuel sur l’état du sexisme en France. De l’enfance à la vie active, en passant par la vie conjugale et parentale, le constat est plutôt alarmant. Le sexisme est toujours ancré dans notre société et la sphère professionnelle est la plus inégalitaire.
Dans le monde du travail, d’après 80 % des personnes interrogées, les inégalités s’observent à la fois dans l’évolution de carrières avec des différences notoires entre les femmes et les hommes, dans l’occupation de postes à responsabilités, et dans les niveaux différents de rémunération (pour rappel, le revenu salarial des femmes reste, encore aujourd’hui, inférieur de 22 % en moyenne à celui des hommes, à qualifications et compétences égales.)
Ces inégalités se retrouvent aussi dans les métiers exercés avec notamment une sur -représentation des femmes dans certains secteurs d’activité comme celui du soin, souvent peu rémunérés et une sous-représentation dans certaines filières porteuses d’emplois comme le numérique.
Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du HCE, avait alerté dès novembre 2023 dans un rapport intitulé : « La femme invisible dans le numérique : le cercle vicieux du sexisme » sur le danger de la sous-représentation des femmes dans cette filière caractérisée par une forte culture sexiste et mettait en lumière le cercle vicieux : « tout converge à évacuer les femmes ». « Les hommes occupent les plates-formes, créent les algorithmes, perpétuent les biais dans les formations, font preuve de sexisme ».
Le HCE prône d’ailleurs pour des quotas de femmes dans les filières informatiques et numériques, pour une plus grande mixité.
D’ailleurs, dans un rapport récent, la Commission Européenne affirme qu’une meilleure équité entre les genres dans le domaine du numérique par exemple créerait jusqu’à 9 milliards d’euros par an de PIB pour le continent.
L’impact économique de la sous-représentation des femmes dans le numérique est encore plus massif en France. Une étude de McKinsey souligne qu’atteindre la parité dans ce secteur pourrait engendrer une hausse de 10 % du PIB du pays d’ici 2025.
Concernant le sexisme ordinaire, aujourd’hui encore, ce dernier gangrène la sphère professionnelle : il s’agit des propos et des comportements insidieux visant à déstabiliser, disqualifier, voire humilier les femmes, comme les propos visant à remettre en cause leur capacité à manager par exemple. Il peut s’agir aussi d’incivilités en réunion comme couper la parole à une femme ou reformuler systématiquement ce qu’elle a dit et qui est tout aussi déstabilisant.
Par le biais de “blagues”, aujourd’hui encore, le sexisme sous le masque de l’humour constitue une pratique très répandue : plus des 3/4 des femmes y ont été exposées.
Si le sexisme ordinaire peut s’exprimer par l’humiliation ou la dévalorisation avec des expressions type « ma belle, ma jolie, ma petite… », il peut aussi s’exprimer par un sexisme qualifié de « bienveillant » qui assigne les femmes à des caractéristiques prédéfinies, lui rappelant par exemple qu’elle est plus « sensible » qu’un homme, avec pour conséquence, une perte de confiance en soi, une auto-censure, une santé psychique et dégradée voir une démission. Cette forme de sexisme est hélas beaucoup moins dénoncée en entreprise et pourtant est tout aussi délétère pour la carrière et la psyché de celles qui sont visées, car il cantonne les femmes à des rôles genrés.
Alors que pour le harcèlement sexuel, les employeurs se mettent en mouvement, il y a encore beaucoup de flous et de confusion sur le sexisme ordinaire, même si certaines entreprises s’engagent à mettre en place des campagnes d’informations et de sensibilisation, à former aux bonnes pratiques, à identifier d’éventuels comportements déviants, à sanctionner et mesurer les résultats obtenus.
Le rôle du manager est alors primordial, car c’est lui qui doit en premier être attentif aux signaux négatifs et qui doit être capable d’accueillir la parole des salariées victimes de sexisme, afin de les orienter vers les RH ou un référent dans l’entreprise, sans oublier la formation et l’engagement fort des directions d’entreprise, qui sont aussi les principaux leviers de lutte contre le sexisme.
À la suite de la publication du dernier rapport sur le sexisme, le HCE remarque qu’au-delà d’être toujours très prégnant, le sexisme a empiré dans certaines catégories de population, notamment les jeunes adultes masculins.
37 % des hommes estiment que le féminisme menace leur place dans la société. Ce sont trois points de plus que l’an dernier. “70 % des hommes pensent encore qu’un homme doit avoir la responsabilité financière de sa famille pour être respecté dans la société”. D’ailleurs, dans la question pécuniaire, on retrouve bien sûr celle des inégalités salariales.
“Plus d’un homme sur 5 considère normal d’avoir un salaire supérieur à sa collègue à poste égal”, constate le HCE.
Le constat le plus inquiétant est sans nul doute celui concernant la vision des jeunes générations, adeptes des réseaux sociaux qui aident à véhiculer des valeurs traditionnelles qui nous ramènent 50 ans en arrière et qui apparaissent être des vecteurs puissants de stéréotypes de genre.
Dans son étude de novembre dernier, le HCE avait déjà tiré la sonnette d’alarme.
Les membres du HCE avaient analysé les 100 contenus les plus vus sur YouTube, TikTok et Instagram. Selon eux, ces réseaux sociaux « participent au triple processus d’invisibilisation des femmes, de reproduction des stéréotypes de genre et de diffusion de la violence symbolique et physique envers les femmes ».
Sur Instagram, « 68 % des contenus propagent des stéréotypes de genre, 27 % contiennent des propos à caractère sexuel et 22 % des propos à caractère sexiste ». Quant à TikTok, le réseau préféré des jeunes adolescents, 61 % des vidéos présentent des comportements stéréotypés masculins. Pas moins de 42,5 % des séquences d’humour et de divertissement contiennent des représentations dégradantes des femmes.
On observe aussi depuis quelque temps, l’essor de la tendance “tradwife”, à savoir “l’épouse traditionnelle”. Des centaines de milliers de vidéos mettent en scène des femmes prônant un mode de vie très conservateur, où l’épouse se doit de rester belle pour son mari, et surtout serviable.
Selon les chiffres du rapport, 68 % des vidéos les plus vues sur Instagram véhiculent des stéréotypes qui assignent par exemple les femmes à la maternité.
Malheureusement, le retour à ces valeurs traditionnelles s’il s’observe chez les jeunes hommes, se retrouve aussi chez les jeunes femmes. 34 % d’entre elles, soit 7 points de plus qu’en 2023, trouvent « normal que les femmes s’arrêtent de travailler pour s’occuper de leurs enfants ».
Comme le rappelle le HCE : « La féminisation du secteur et la régulation des contenus doivent être une priorité au plus haut niveau de l’Etat. »
A cela s’ajoute une gender fatigue ou « lassitude de genre », c’est-à-dire, un sentiment de lassitude face tout d’abord aux actions de sensibilisation en faveur de l’égalité professionnelle ressenti par des collaborateurs et collaboratrices, qui après des années d’engagement s’y désintéressent.
Tout cela ne peut que nuire au chemin vers l’égalité et cette égalité ne peut être secondaire face aux défis de notre société, surtout quand on sait qu’il faudrait patienter encore 254 ans pour combler les disparités dans le monde du travail. En 2024, face à cette augmentation du sexisme en France, comme le recommande le HCE, il faut « éduquer, réguler et sanctionner » mais rien ne pourra se faire sans les entreprises qui doivent de leur côté accélérer les actions et multiplier leurs efforts.