Repenser les politiques diversité & inclusion par le prisme de l’intersectionnalité

Théorisée dans le courant des années 80 aux Etats-Unis, l’intersectionnalité permet d’appréhender l’aspect multiple des discriminations tout en prenant en compte les singularités des individus. Déjà assimilée dans la réflexion stratégique des politiques diversité & inclusion par certaines entreprises anglo-saxonnes telles que Google, Accenture ou Randstad, comment appliquer cet outil d’analyse au sein de nos organisations françaises ?

Du combat pour les droits des femmes noires à la notion intersectionnelle

A la fin des années 80 aux Etats-Unis, la juriste Kimberlé Crenshaw s’intéresse à l’invisibilisation des femmes noires dans le contexte des avancées féministes et d’égalité raciale de l’époque. En étudiant la jurisprudence étasunienne et notamment des affaires telles que « Emma Degrafeinred contre General Motors » (1976), elle constate que les salariées noires licenciées à cette période faisaient face à un vide juridique. Les plaignantes s’étaient en effet pourvues en justice pour avoir été licenciées non pas en tant que personnes noires ou en tant que femmes, mais spécifiquement en tant que femmes noires. Réclamation rejetée par le juge au motif que l’employeur embauchait des personnes noires et des femmes. Ainsi, la cour a considéré que la réclamation ne se justifiait ni pour racisme, ni pour sexisme.  Seulement le juge n’avait pas pris en compte le fait que tous les Afro-américains embauchés étaient des hommes et que les femmes embauchées étaient toutes blanches.

Ces femmes se retrouvaient donc invisibilisées, et à l’intersection de deux discriminations. C’est en constatant cet angle mort que Crenshaw publia son article écrit intitulé « Démarginaliser l’intersection de la race et du sexe : une critique féministe noire de la doctrine de l’anti-discrimination, de la théorie féministe et de la politique anti-raciste ».

Intersectionnalite

Notion majeure des recherches féministes, le concept d’intersectionnalité s’est depuis élargi pour considérer les différents points de chevauchements entre les multiples discriminations que peuvent subir un individu :

Employé en sociologie et en réflexion politique, il permet donc d’aborder et d’appréhender la complexité des mécanismes de domination et commence à faire son chemin dans les entreprises anglo-saxonnes et françaises, dans le but d’améliorer les actions de diversité et d’inclusion.

Retrouvez l’intervention de Jean-Marie Manach, responsable diversité & inclusion chez Les entreprises pour la Cité, en suivant ce lien (début de l’intervention à 1 heure et 32 minutes).

Pourquoi s’en emparer en entreprise ?

L’intersectionnalité est aujourd’hui utilisée comme un cadre d’analyse qui permet d’éviter les angles morts en ciblant les catégories de salariés les plus susceptibles d’être discriminées, tout en évitant d’adresser les différentes thématiques de la diversité sous forme de blocs monolithiques. Une personne en situation de handicap ne se résume pas uniquement à ce dernier, de même qu’une femme racisée à sa couleur de peau ou un homme homosexuel à son orientation sexuelle. L’objectif est donc de s’affranchir des étiquettes réductrices : « handicapé, jeune de la génération Z, racisé, transgenre… », en prenant en compte la pluralité de caractéristiques composant chaque individu, et de nuancer les parcours et les expériences.

Intersectionnalite

S’emparer de ce concept permet plus globalement :

  • D’adresser l’ensemble des thématiques diversité de manière transversale
  • De répondre aux attentes des nouvelles générations (valeurs, sens au travail, égalité réelle…)
  • D’harmoniser les équilibres budgétaires et humains sur les différentes thématiques
  • De se nourrir de la recherche (RH, sociologique, psychologique…) pour alimenter les politiques D&I

Utiliser l’intersectionnalité de manière concrète dans les politiques diversité & inclusion

En octobre dernier, l’Association Française des Managers de la Diversité (AFMD) et Les entreprises pour la Cité ont mis en place un groupe de travail composé de plusieurs des référents diversité de leurs entreprises membres.

Chaque sous-groupe a travaillé sur un sujet en particulier :

  1. Le décloisonnement des réseaux internes

Les participants ont exploré les différents réseaux de collaborateurs en interne : réseaux mixité, handicap, LGBT+, prévention des risques psychosociaux… Le but était de trouver des enjeux communs à tous ces réseaux et de quelle façon favoriser la transversalité dans leurs échanges.

  1. Optimiser l’état des lieux et la mesure d’impact

L’objectif est d’appliquer l’approche intersectionnelle dans les actions de mesure (état des lieux) et d’évaluation (KPIs), afin de repérer les catégories de population les plus vulnérables et d’identifier des indicateurs pertinents pour évaluer l’impact des actions déployées sur les populations vulnérables.

  1. Réinventer les actions de sensibilisation

Décompartimenter les thématiques en sortant des actions de sensibilisation ponctuelles sur des thématiques (8 mars ou SEEPH) en croisant les sujets sur des temps de sensibilisation plus sous des dénominations telles que « Semaine des singularités » ou « Printemps de l’égalité », le but est de rendre compte de l’aspect systémique des discriminations et de leurs causes (constructions sociales, biais cognitifs et préjugés…) en mettant en lumière les causes plutôt que de se concentrer uniquement sur les conséquences.

  1. Le Code canari & et les fiches de poste

Analyse par les participants du Code Canari, référentiel pour penser des actions inclusives, créé pour partir de l’expérience des personnes les plus vulnérables au sein des organisations afin de protéger l’ensemble des salariés.  Les participants ont également réfléchi à comment produire la fiche de poste la plus inclusive possible en se basant sur le cadre de l’intersectionnalité.

Retrouvez le compte rendu détaillé de cet atelier AFMD/LepC rédigé par Chloé Torcol en cliquant ici: Synthèse atelier Intersectionnalité

Concept issu du milieu de la recherche en sciences sociales, longtemps resté cantonné aux sphères militantes, l’intersectionnalité suscite parfois des débats passionnés dans la sphère politico-médiatique. Extirpé loin des polémiques et utilisé à bon escient, elle n’en reste pas moins un outil qualitatif et pertinent pour permettre aux directions D&I de questionner et de repenser leurs actions en matière de lutte contre les discriminations.  

Pour aller plus loin :

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