Neurodiversité en entreprise : un levier d’innovation encore trop méconnu

Longtemps ignorée ou mal comprise, la neurodiversité s’impose progressivement comme un enjeu central pour les entreprises désireuses de conjuguer inclusion et performance.

Autisme, TDAH, dyslexie, dyspraxie, HPI… Ces différences cognitives concernent entre 15 et 20 % de la population mondiale. Désignées sous le terme de neurodiversité, introduit par la sociologue Judy Singer et popularisé par le journaliste Harvey Blume en 1998, il s’agit de personnes avec un fonctionnement neurologique différent de la norme. Loin de toute vision déficitaire, ces profils dits neuroatypiques offrent des perspectives inédites en matière d’innovation et de créativité.

Comprendre la richesse de la neurodiversité

Les personnes neurodivergentes apportent une richesse indéniable : créativité singulière, pensée complexe, résilience, hypersensibilité émotionnelle, et capacité à penser différemment.

Selon Christel Petitcollin, formatrice en communication et développement personnel, conférencière et auteure de « Je pense trop ! » : ” Ils ont un raisonnement en toile d’araignée. Ils font des hors sujets qui pour eux n’en sont pas, car ils sont connectés à autre chose. ” 

Autre atout : les neurodivergents voient très loin. Parfois trop. “Ils peuvent passer pour des provocateurscar ils posent des questions qui donnent l’impression qu’ils tentent de prendre leur chef en défaut : ‘Pourquoi me demandes-tu de faire ça ? Où va-t-on ?’ Leur plus gros besoin, c’est d’avoir un travail porteur de sens et une vision globale. Souvent, en entreprise, on ne demande pas aux gens de réfléchir si loin.

Autant d’atouts utiles dans des fonctions autonomes ou transversales, mais encore trop peu valorisés. Dans les conseils d’administration, ces profils peuvent même apporter une vision stratégique différenciante.

Des environnements de travail encore trop inadaptés

Pourtant, les environnements de travail standards restent souvent inadaptés à leurs besoins. Open spaces bruyants, réunions à plusieurs dans des espaces clos, surcharge sensorielle… autant d’éléments qui freinent leur épanouissement professionnel. Le défi est clair : adapter l’entreprise à ces profils, et non l’inverse.

La clé d’une intégration réussie réside dans une approche globale. Il ne s’agit pas simplement d’aménager des bureaux ou de tolérer la différence, mais bien de repenser l’ensemble du parcours collaborateur, de son accueil à son accompagnement au quotidien. Accès aux lieux de vie, supports de communication, flexibilité des modes de travail : tout doit être repensé pour favoriser l’autonomie et réduire la surcharge cognitive. Ce que l’on met en place pour des neurodivergents profite en réalité à tout le monde.

Exemples d’initiatives dans les grandes entreprises

Certaines entreprises pionnières l’ont bien compris. Chez Orange, des salariés ont créé des communautés centrées sur la neurodivergence et le partage de bonnes pratiques. Chez Microsoft France, des cafés “ND” à thème permettent aux collaborateurs de s’exprimer librement. “Nous avons la chance d’évoluer dans un secteur tech fondé par des neurodivergents comme Bill Gates”, confie Philippe Trotin, accessibility lead chez Microsoft. Lui-même dysorthographique, il milite pour des processus de recrutement plus adaptés, moins stressants, et encadrés par des personnes concernées.

Chez Engie, la neurodiversité s’est imposée dans le débat à l’occasion d’un index sur la parité. Des collaborateurs ont signalé ne pas s’y reconnaître, mettant en lumière leur propre invisibilité. Le groupe a alors identifié les métiers les plus adaptés à ces profils, en particulier dans les filières techniques où la pensée analytique est précieuse.

Un management différent, une culture plus inclusive

Mélodie Ardouin, fondatrice du podcast Les Atypiques du Cerveau et du collectif des Réseaux de Diversité Cognitive au Travail, insiste : “Un manager de proximité encadre statistiquement au moins une personne neuroatypique dans son équipe. Il est crucial d’apprendre à les reconnaître pour mieux les accompagner.

Le rôle du manager est central, mais complexe. Pressé de toute part, il doit pourtant trouver le temps d’écouter, d’accompagner et d’ajuster son mode de fonctionnement. Adopter un leadership neuro-inclusif exige une posture d’authenticité et une grande flexibilité, implique de s’ouvrir à des approches différenciées, de remettre en question ses biais, et surtout, de créer un climat de confiance.

Cela passe par des gestes simples mais essentiels : Demander à ses collaborateurs et collaboratrices leurs préférences de fonctionnement. Si l’on exige de longs mails de quelqu’un qui n’est pas à l’aise avec l’écriture, cela risque de le stresser. Certains vont aussi préférer un planning très détaillé quand d’autres auront juste besoin d’une deadline pour rendre le travail à l’heure. Cette ouverture à l’autre devrait être au cœur de la formation des managers. Ce dernier doit adapter la charge cognitive selon les besoins, ou éviter de stigmatiser une hypersensibilité qui n’a rien de volontaire. Le bruit de la climatisation, les conversations croisées, une lumière agressive… tout cela peut devenir un enfer sensoriel. Un neuroatypique ne peut rien à sa sensibilité auditive. Il faut aménager un poste calme et expliquer la situation à l’équipe. La méthode Walt Disney, qui se base sur un jeu de rôle qui permet d’analyser un projet selon 3 points de vue : celui du rêveur, du réaliste et du critique, permet par exemple de canaliser leur créativité de manière constructive.

Mais tout ne doit pas reposer sur les épaules des managers et il faut les accompagner. En leur offrant un environnement bienveillant, ces personnes peuvent révéler tout leur potentiel.

La neurodivergence, elle, reste encore taboue en entreprise et la peur du jugement pousse encore trop de neurodivergents à taire leur différence et à se suradapter, parfois jusqu’à l’épuisement.

La première étape vers une entreprise plus inclusive consiste à questionner ses propres biais. De même, une sensibilisation aux différences cognitives devrait faire partie intégrante de la formation des managers. Comprendre qu’un fonctionnement différent n’est pas un dysfonctionnement, c’est déjà faire un pas vers l’inclusion.

Et si le manager lui-même était neurodivergent ? “Un chef plus rapide que son équipe peut involontairement créer des burn-outs s’il ne comprend pas le décalage“, prévient Mélodie Ardouin. En somme, la neurodiversité invite à une remise en question collective.

Pour aller plus loin, les entreprises pour la Cité lance un cycle sur la neurodiversité en entreprise

Neurodiversité en entreprise : quels enjeux et comment y répondre | 25 septembre de 9h à 10 h – En ligne – Inscriptions ICI

L’insertion professionnelle des salariés avec un TSA | 30 septembre de 9h à 10 h – En ligne – Inscriptions ICI

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