En dépit d’une sensibilité toujours plus grande aux inégalités depuis #MeToo, les clichés et les stéréotypes sexistes perdurent. Cette persistance du sexisme dit « ordinaire » est préoccupante, impacte la santé des collaboratrices et engendre des coûts économiques.
Le 25 novembre dernier, a eu lieu la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Chaque année, 213 000 femmes en moyenne sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint en France. Ces violences touchent des femmes de tous les secteurs d’activité, métiers et niveaux de responsabilités. Ainsi, chaque organisation employeuse compte probablement dans son effectif des victimes de violences conjugales.
Parmi les signaux faibles qui doivent alerter un collègue, un manager, un responsable RH : des absences répétées, le refus de prendre ses congés, le refus des promotions ou des signes de reconnaissance, un maquillage trop soutenu.
Une fois libérée, la parole doit être entendue et prise en compte. Certaines entreprises financent l’aide de tiers, d’associations ou de structures extérieures à l’entreprise ; d’autres renvoient vers l’assistance sociale quand elles en ont, ou mettent en place un référent, garant de l’anonymat de celles qui le consultent.
Que peut faire l’entreprise ?
Communiquer sur les dispositifs existants, sur les associations qui viennent en soutien aux victimes, ou sur le 3919, dédié à l’écoute des femmes victimes de violence, peut suffire. Des actions spécifiques envers des salariées violentées peuvent être mises en place: jours de congés supplémentaires, nouveaux horaires de travail, avances sur salaire, changement de numéro de téléphone pour limiter le harcèlement.
Dans des cas extrêmes, la victime peut être amenée à quitter son emploi et peut alors être éligible aux indemnités de chômage.
Focus sur les violences économiques :
« J’ai envie de dire plusieurs choses aux jeunes femmes qui préparent le monde de demain. D’abord, soyez indépendantes économiquement. C’est une règle de base. La clé de votre indépendance, le socle de votre libération, le moyen de sortir de la vassalité naturelle où la société a longtemps enfermé les femmes. » Gisèle Halimi
Selon une étude IFOP, 41 % des femmes (soit 4 femmes sur 10) connaîtront, au moins une fois dans leur vie, des violences économiques conjugales.
Selon la définition retenue, ce type de violence est “un contrôle, un appauvrissement ou un manque à gagner qui peuvent aller jusqu’à la dépossession totale des moyens d’autonomie financière des femmes”. Et d’après l’étude, menée auprès de 951 femmes ayant déjà̀ été en couple, 16 % des sondées ont affirmé avoir subi, au moins une fois, une forme de contrôle de leurs finances par leur partenaire. Une « emprise » qui complique par la suite toute tentative de quitter le domicile conjugal.
Quand le partenaire ou l’ex-partenaire entrave l’indépendance financière, contrôle les dépenses, quand une partie des salaires est saisie, quand on est empêchée de travailler, quand des dettes sont contractées à l’insu de la femme, quand la pension alimentaire n’est pas versée, quand on se voit privée de carte bancaire, … Ce sont des violences économiques.
D’après le sondage IFOP, 33 % des femmes ont eu un conjoint qui a déjà contrôlé leurs dépenses et les a lésées dans leur train de vie ou sur le plan financier.
Ces violences s’accentuent notamment lorsque la femme gagne moins que son conjoint. Une femme a deux fois plus de chance d’être victime de violences économiques si elle gagne beaucoup moins que son conjoint.
Ainsi, 27 % des interrogées qui sont en couple avec un conjoint qui gagne beaucoup plus qu’elles, ont déjà été victimes d’au moins une violence économique. Le pourcentage tombe à 14 % lorsque la femme gagne un revenu équivalent.
Les violences économiques conjugales sont aussi la porte d’entrée vers les autres violences physiques ou psychiques.
Au total, 99 % des femmes victimes de violences économiques conjugales ont subi aussi d’autres formes de violences conjugales (verbales, physiques, psychologiques), la majeure partie du temps en même temps.
Le risque existe dans tous les milieux sociaux et quel que soit l’âge.
D’après une étude dévoilée en 2021 par Vie Publique, 20 % des femmes qui ont appelé le 3919, ont dénoncé des violences économiques eu sein de leur couple.
Face à cette forme de violence, quelques mesures commencent à voir le jour.
En 2021, un rapport parlementaire a dressé une série de recommandations, dont la prise en compte, en droit, de la notion de violences économiques, afin d’aboutir à leur pénalisation.
Un an plus tard, la loi dite Rixain impose que tous les salaires et prestations sociales payés par virement soient désormais versés sur le compte bancaire du salarié ou bénéficiaire (ou sur un compte commun auquel le salarié a -théoriquement- accès).
Mais au niveau pénal, les progrès avancent lentement. « Démontrer qu’il y a un élément moral, une intention de nuire au prisme de l’analyse de la comptabilité ou de la gestion financière d’une entité familiale est extrêmement compliqué », souligne Anne Bouillon, avocate spécialisée en droits des femmes.
« En France, l’une des grandes difficultés repose sur l’absence de définition précise et d’intégration au code pénal », regrette Françoise Brié, directrice générale de la Fédération Solidarité femmes. La seule norme en la matière est la Convention d’Istanbul, ratifiée par la France en 2014, tandis que certains voisins européens, comme l’Espagne ou la Grande-Bretagne, l’ont intégrée à leur législation nationale.
Qu’en est-il des entreprises ?
Pour éradiquer les violences économiques, l’égalité salariale est la base. Si les lois en ce sens existent depuis plus de cinquante ans, il reste 24 % d’écart salarial, notamment parce que les métiers les plus féminisés, comme la santé ou l’éducation, qui sont à forte valeur sociale, n’ont toujours pas été revalorisés. Il faut aussi encourager la mixité des métiers.
C’est le cas de LepC qui organise par exemple des événements partout en France avec « Osez un métier technique » , matinées dédiées à l’emploi des femmes dans les métiers techniques.
Agir pour lutter contre les violences économiques, c’est participer à favoriser l’indépendance économique financière des femmes. Cela passe aussi par un développement de la culture financière de ces dernières qui ne se sentent pas toujours légitimes sur ces questions.
De même définir officiellement ces violences et exposer leurs conséquences restent le meilleur moyen de les prévenir, car certaines victimes n’ont pas toujours conscience de les subir. « Il faut donc expliquer et faire connaître la notion de violences économiques au grand public, mais aussi aux professionnels » estime Paola Vieira, responsable d’un projet de protection contre les violences économiques conjugales chez BNP Paribas Personal Finance qui forme les conseillers bancaires à ce sujet.
Sources :
« Violences économiques, ça n’arrive pas qu’aux autres »ViveS 23 novembre
Étude IFOP pour Les Glorieuses réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 17 au 19 octobre 2023 auprès de 951 femmes ayant déjà été en couple, extrait d’un échantillon de 1 101 femmes représentatif de la population féminine vivant en France métropolitaine âgée de 18 ans et plus.