Trop d’infos, trop vite : comment le numérique épuise les salariés

La pénibilité au travail change de visage. Selon une étude récente, 26 % des actifs français seraient aujourd’hui touchés par une « fatigue informationnelle ». Cette surcharge cognitive grignote peu à peu la qualité de vie au travail, sape la motivation et fragilise la santé mentale.
L’essor fulgurant des technologies, censées faciliter la vie professionnelle, bouleverse en réalité les équilibres. Il accroît la charge mentale et transforme profondément la manière de travailler. C’est aussi le constat dressé par l’Observatoire de l’infobésité et de la collaboration numérique (OICN) dans une note publiée le 26 juin dernier.

L’esprit saturé : quand l’information déborde

À l’instar des débats sur le temps d’écran des enfants ou sur l’usage des réseaux sociaux par les adolescents, il devient urgent de s’interroger sur les effets de cette infobésité qui frappe le monde du travail.
Une enquête menée en décembre 2024 par l’Observatoire société et consommation (ObSoCo) pour la Fondation Jean-Jaurès et Arte en dresse un tableau saisissant : un peu plus d’un actif sur quatre, soit environ 7,5 millions de personnes, se dit débordé par la quantité d’informations à trier et à traiter chaque jour. Beaucoup peinent à hiérarchiser les priorités, à prendre des décisions claires face au flux constant de messages, et évoluent dans un environnement professionnel saturé, où tout semble urgent.

Cette fragmentation de l’attention est devenue un marqueur du quotidien. Les notifications s’accumulent : un e-mail, une alerte Slack, un message WhatsApp ou un SMS interrompent sans cesse la tâche en cours.
Aujourd’hui, aucune activité ne s’accomplit sans ces micro-coupures qui grignotent la concentration. Après la lecture d’un courriel, il faut en moyenne plus d’une minute pour se replonger dans son travail. Sur une journée, ce temps de reconcentration représente près d’1 h 30 perdue.
Et surtout, ces interruptions sont souvent inutiles : les salariés estiment qu’un mail sur deux ne les concerne pas directement. Une pollution numérique qui encombre les boîtes mail autant que l’esprit, à laquelle s’ajoutent des réunions (souvent virtuelles ) qui se multiplient.

La pénibilité ne se limite plus aux métiers manuels ou répétitifs. Elle touche désormais les cadres et les professions intellectuelles, submergés par les outils numériques, les visioconférences et les échanges permanents. 30 % des actifs déclarent avoir des difficultés de concentration, et les auteurs de l’étude parlent même d’une forme de « paresse organisationnelle ».
Le simple acte d’envoyer un e-mail devient une manière de se délester d’une décision, de transférer la responsabilité au destinataire. Les managers sont particulièrement exposés : 38 % d’entre eux se disent affectés, au même niveau que les salariés en télétravail. Sollicités de toutes parts, sommés d’être réactifs, ils passent une part croissante de leur temps à répondre plutôt qu’à piloter.

Ces tensions nourrissent des risques réels pour la santé mentale. Les personnes concernées présentent davantage de troubles psychologiques, de stress, d’anxiété et parfois de symptômes physiques : douleurs musculaires, troubles musculosquelettiques, migraines. Le burn-out guette ceux qui ne parviennent plus à couper.

Corps, esprit et organisation sous pression numérique

Derrière les écrans, le corps aussi s’épuise. Robotisation, automatisation, intelligence artificielle : le progrès technologique a bouleversé les métiers, mais il alourdit la charge de travail et fragilise les organismes.
L’OICN, dans sa synthèse « Technologies numériques et risques professionnels », met en lumière une double menace : mentale et physique.
Les douleurs oculaires, la fatigue visuelle, les tensions dans la nuque et le dos s’ajoutent à une sédentarité accrue. Selon l’European Agency for Safety and Health at Work (2024), la posture assise prolongée est désormais le premier facteur de risque au travail, devant les gestes répétitifs ou les postures contraignantes.

Autre dérive silencieuse : la multiplication des tâches invisibles. Répondre aux sollicitations, envoyer des relances, coordonner des projets… Autant d’activités rarement mentionnées dans les fiches de poste, mais qui occupent une part croissante du quotidien.
Cette gestion constante du flux d’informations se fait au détriment des missions nécessitant une attention soutenue. D’après l’OICN, les collaborateurs consacrent encore 79 % de leur temps à des tâches de fond, contre 57 % pour les managers et seulement 33 % pour les dirigeants, plus absorbés par la coordination et la transmission d’informations.
Ce déséquilibre alimente un sentiment diffus de « travail empêché », partagé à tous les niveaux hiérarchiques. Beaucoup doutent du sens de leur mission, étouffés sous les injonctions de réactivité et les chaînes de mails.

Le numérique n’épargne pas non plus la qualité des relations humaines. Les échanges écrits, souvent rapides, peuvent générer des tensions. Un message en majuscules, une tournure trop directe, et le malentendu s’installe. À cela s’ajoute une frontière de plus en plus poreuse entre vie professionnelle et vie personnelle : selon plusieurs études (Institut Montaigne, Crédoc, IFOP, 2023-2024), 60 % des salariés admettent travailler le soir ou le week-end, un phénomène amplifié par le télétravail.
Une enquête internationale menée par Cevat Giray Aksoy pour l’American Economic Association (2023) souligne d’ailleurs que 71 % du temps économisé sur les trajets domicile-travail est en réalité réinvesti… dans le travail.
Un paradoxe saisissant : les technologies censées libérer du temps en font perdre davantage.

Dans une société saturée d’informations, les salariés paient le prix fort de cette infobésité. Pour les entreprises, le signal est alarmant : plus la fatigue informationnelle s’installe, plus l’engagement décline. En 2025, alors que la santé mentale est érigée en grande cause nationale, il ne s’agit plus d’un enjeu périphérique mais d’un impératif collectif.

Si certaines entreprises ont mis en place des garde-fous (droit à la déconnexion, limitation des mails internes, formation à la gestion du flux), ces rustines ne suffisent pas. La réponse devra être globale : instaurer un management de l’information réfléchi, une culture managériale qui redonne du sens et protège la santé (y compris mentale) des équipes. Car derrière les écrans, ce n’est pas seulement la productivité qui s’érode, mais la relation au travail elle-même.

 

Sources :

  • Observatoire de l’infobésité et de la collaboration numérique, Technologies numériques et risques professionnels (juin 2025)
  • Observatoire société et consommation (ObSoCo) pour la Fondation Jean-Jaurès et Arte, La fatigue informationnelle (décembre 2024)

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