Derrière les écrans, le corps aussi s’épuise. Robotisation, automatisation, intelligence artificielle : le progrès technologique a bouleversé les métiers, mais il alourdit la charge de travail et fragilise les organismes.
L’OICN, dans sa synthèse « Technologies numériques et risques professionnels », met en lumière une double menace : mentale et physique.
Les douleurs oculaires, la fatigue visuelle, les tensions dans la nuque et le dos s’ajoutent à une sédentarité accrue. Selon l’European Agency for Safety and Health at Work (2024), la posture assise prolongée est désormais le premier facteur de risque au travail, devant les gestes répétitifs ou les postures contraignantes.
Autre dérive silencieuse : la multiplication des tâches invisibles. Répondre aux sollicitations, envoyer des relances, coordonner des projets… Autant d’activités rarement mentionnées dans les fiches de poste, mais qui occupent une part croissante du quotidien.
Cette gestion constante du flux d’informations se fait au détriment des missions nécessitant une attention soutenue. D’après l’OICN, les collaborateurs consacrent encore 79 % de leur temps à des tâches de fond, contre 57 % pour les managers et seulement 33 % pour les dirigeants, plus absorbés par la coordination et la transmission d’informations.
Ce déséquilibre alimente un sentiment diffus de « travail empêché », partagé à tous les niveaux hiérarchiques. Beaucoup doutent du sens de leur mission, étouffés sous les injonctions de réactivité et les chaînes de mails.
Le numérique n’épargne pas non plus la qualité des relations humaines. Les échanges écrits, souvent rapides, peuvent générer des tensions. Un message en majuscules, une tournure trop directe, et le malentendu s’installe. À cela s’ajoute une frontière de plus en plus poreuse entre vie professionnelle et vie personnelle : selon plusieurs études (Institut Montaigne, Crédoc, IFOP, 2023-2024), 60 % des salariés admettent travailler le soir ou le week-end, un phénomène amplifié par le télétravail.
Une enquête internationale menée par Cevat Giray Aksoy pour l’American Economic Association (2023) souligne d’ailleurs que 71 % du temps économisé sur les trajets domicile-travail est en réalité réinvesti… dans le travail.
Un paradoxe saisissant : les technologies censées libérer du temps en font perdre davantage.
Dans une société saturée d’informations, les salariés paient le prix fort de cette infobésité. Pour les entreprises, le signal est alarmant : plus la fatigue informationnelle s’installe, plus l’engagement décline. En 2025, alors que la santé mentale est érigée en grande cause nationale, il ne s’agit plus d’un enjeu périphérique mais d’un impératif collectif.
Si certaines entreprises ont mis en place des garde-fous (droit à la déconnexion, limitation des mails internes, formation à la gestion du flux), ces rustines ne suffisent pas. La réponse devra être globale : instaurer un management de l’information réfléchi, une culture managériale qui redonne du sens et protège la santé (y compris mentale) des équipes. Car derrière les écrans, ce n’est pas seulement la productivité qui s’érode, mais la relation au travail elle-même.
Sources :
- Observatoire de l’infobésité et de la collaboration numérique, Technologies numériques et risques professionnels (juin 2025)
- Observatoire société et consommation (ObSoCo) pour la Fondation Jean-Jaurès et Arte, La fatigue informationnelle (décembre 2024)