Ces dernières semaines, l’APEC, spécialiste de la recherche d’emplois des cadres a lancé une grande campagne d’affichage présentant un homme ou une femme de dos avec une étiquette siglée de la mention « périmé sur le marché du travail à partir du 2/11/2023 ». L’objectif de la campagne est d’alerter sur le manque de considération des travailleurs et travailleuses seniors qui constituent un vivier de forces vives peu exploité.
Aujourd’hui en France, les seniors peinent à faire valoir leur valeur ajoutée en entreprise, victimes de nombreuses idées reçues comme celle relative à leur rémunération jugée trop conséquente. Ils se sentent stigmatisés à l’inverse des travailleurs et travailleuses asiatiques par exemple ou de ceux et celles issus d’Europe du Nord où il y a une vraie tendance à mieux les intégrer dans les parcours professionnels.
Conséquence : le taux d’emploi en France des seniors figure en bas du tableau européen alors que parallèlement, les difficultés de recrutement restent au cœur des débats. Dans une étude de la DARES parue en septembre dernier, en 2022, seuls 56,9 % des 55 à 64 ans étaient en emploi contre 62,4 % en moyenne au niveau européen, plaçant ainsi la France à la 17e place sur 27 au sein de l’UE.
La discrimination, liée à l’âge, est-elle uniquement un mal français ? On peut légitimement se poser cette question.
En septembre 2023, l’agence de communication TBWA/Corporate et ViaVoice (1), ont publié une étude qui met en évidence l’apport des seniors aux entreprises et qui encourage à assurer leur visibilité dans la communication interne et le recrutement.
L’ agence s’est notamment penchée sur la thématique des salarié.es seniors autour de la question : comment libérer le plein potentiel des seniors et des entreprises ?
Avec cette étude intitulée « L’ avenir de l’entreprise sera senior ou ne sera pas », l’agence entend lutter contre les préjugés qui coupent les entreprises d’opportunités : rôle dans la structuration des forces commerciales, précieuses compétences comportementales (soft skills), fiabilité et engagement sur le moyen/long terme. Les seniors apportent leur expertise au moment où les entreprises peuvent être mises en difficulté par les démissions successives des salarié.es plus jeunes.
Pourtant à la question : si vous perdiez votre emploi, pensez-vous-en retrouver un facilement (aux mêmes conditions) ? Seulement 36 % des seniors interrogés ont répondu oui, contre 72 % des salarié.es de moins de 35 ans.
Docteur en psychologie sociale, Patrick Scharnitzky est directeur associé au sein du cabinet de conseil et de formation AlterNego. Il a récemment publié une étude sur la deuxième partie de carrière des salarié.es (2).
L’étude met en évidence un décalage fort de perception chez les plus de 45 ans. D’un côté, ils se déclarent volontaires, désireux de continuer à se projeter dans l’entreprise et surtout plus disponibles, car allégés de certaines charges familiales. Près de 90 % des répondant.es disent souhaiter transmettre ce qu’ils savent de leur travail dans leur entreprise et ce taux ne décline pas avec l’âge entre les 45-49 ans et les plus de 60 ans. Hélas, ils expriment aussi le sentiment que l’entreprise n’a plus grand-chose à leur offrir, et craignent le climat de jeunisme qui les stigmatise. Ils ne sont que 25 % à considérer que les opportunités d’évolution de carrière proposées par leur entreprise sont satisfaisantes et ce taux décline avec l’âge.
55 % des répondant.es de l’étude expriment le fait que «passé un certain âge, certains postes de l’entreprise ne sont plus accessibles».
Les leviers pour l’emploi des séniors
Pourtant, des leviers existent qui agissent en faveur de l’employabilité des seniors, à commencer par la formation professionnelle.
Cette dernière est hélas peu développée chez les seniors en France : selon une étude IFOP pour le club Landoy, réalisée en 2020, seul 1 salarié sur 10 a suivi une formation professionnelle entre 45 et 62 ans.
A l’inverse, les pays du Nord de l’Europe ont investi ce sujet de la formation des seniors. Selon Eurostat, en 2006, 72 % des Danois de 55-64 ans avaient suivi une formation, pour 66% des Finlandais, 62 % des Suédois et… 32 % des Français!
Si 70 % des Suédois et 72 % des Hollandais se déclaraient, en 2005, capables de faire le même travail qu’actuellement à 60 ans, ce chiffre chutait à 49% quand on interrogeait les Français, selon l’enquête d’Eurostat sur les conditions de travail. Pour pouvoir travailler jusqu’à un âge avancé dans ces pays nordiques, la solution passe aussi par une vigilance accrue des entreprises quant à la santé au travail. En Suède, l’Etat verse des aides aux entreprises pour qu’elles améliorent l’environnement et les conditions de travail et limitent la pénibilité des tâches.
Autre levier : les mesures protectrices pour l’emploi des séniors. Dans une loi de 1974 sur la sécurité de l’emploi, la Suède a introduit un principe qui veut que, lors des licenciements, on se sépare d’abord des derniers collaborateur.trices embauchés. Ce même principe figure également souvent dans les accords collectifs des entreprises finlandaises.
Enfin, au Danemark, les demandeurs d’emploi de plus de 55 ans ayant épuisé leurs droits à l’indemnisation du chômage sont éligibles à un emploi senior dans le secteur public.
Comme le rappelle Patrick Schranitzy : « Il faut changer la culture d’entreprise et les stéréotypes, en luttant contre le jeunisme (wording, visuels, rôles modèles…).
Il est ensuite nécessaire de changer les pratiques de gestion des carrières, tant sur le recrutement que sur l’accès à la formation et la gestion du temps des carrières. Le plus important est de faire sauter le plafond de verre lié à l’âge. Il existe dans beaucoup d’entreprises un seuil au-delà duquel « on ne fait plus carrière ». Cela est dévastateur pour les plus âgés et, aussi pour les plus jeunes car en inadéquation avec les temps de la vie privée.
Il faut engager tous les acteurs de l’entreprise dans le même sens : les dirigeants, à travers une vision et des objectifs ; les RH, par des outils de gestion des carrières dépollués des stéréotypes ; les managers, dans leur capacité à gérer la dynamique des collectifs, en luttant contre toutes les micro-agressions (blagues, remarques déplacées…) ; et enfin les communicants, en redonnant aux « plus seniors » une place et une image qui leur permettent de s’identifier et « d’oser être soi ».
Exemple de bonne pratique :
En France, le cabinet de conseil Eurogroup Consulting – dont la moyenne d’âge oscille autour de 35 ans et dont le taux de turnover avoisine les 30% – a mis en place un dispositif favorable à l’embauche de travailleurs et travailleuses âgés de plus de 45 ans.
Le cabinet de conseil propose, avec le concours de l’Apec, une semaine d’immersion professionnelle dans les métiers du conseil avec l’objectif de s’intéresser à des personnes éloignées de l’emploi et de leur proposer un « parcours rebond », à savoir un emploi qualifié de consultant.e débutant à hauteur de 50.000 euros par an et un intéressement très attractif.
Initié en mai dernier avec 6 candidat.es âgés de 43 à 62 ans, trois d’entre eux ont reçu une proposition d’embauche ferme. Sur la centaine de recrutement par an, réalisés chez Eurogroup, 10 % d’entre eux seront désormais réservés à des profils seniors.
Focus emploi des femmes seniors :
L’ emploi des femmes de plus de 45 ans est une question cruciale, car elles représentent la catégorie pour laquelle la durée d’inscription au chômage est la plus longue. Le retour à l’emploi s’avère être plus difficile et elles doivent faire face à une double discrimination, l’âge et le genre.
Les entreprises pour la Cité organise toute l’année et dans plusieurs villes, le Job Meeting Tour au féminin, en partenariat avec Force Femmes, afin de permettre aux femmes de plus de 45 ans de rencontrer des entreprises qui recrutent. En amont des actions de coaching emploi sont organisées pour les préparer aux entretiens avec les entreprises le jour J.
Quelques témoignages de femmes ayant participé à ces actions :
« Ce coaching est un temps très utile qui m’a aidé à me vendre auprès des entreprises, ne sachant pas toujours le faire.»
« Ce temps de coaching m’a aidé à mettre en valeur mes compétences. Je suis prête désormais pour le Job Meeting Tour avec moins de stress.»
Retrouvez les prochaines dates du Job Meeting Tour au Féminin dans notre agenda
Sources :
(1) : Etude TWBA/Corporate et ViaVoice « L’avenir de l’entreprise sera senior ou ne sera pas « 1 000 entretiens en ligne menés par Viavoice en janvier 2023, complétés par 20 entretiens qualitatifs auprès de responsables RH et d’employeurs en avril-juillet.
(2) : Etude Alternego « Seconde partie de carrière : ressentis et attentes des salariés » – Questionnaire réalisée en ligne du 15 janvier au 15 février 2023, auprès de 10 205 salariés de 45 à 60 ans en emploi.
(3) : Les séniors sur le marché du travail – DARES – septembre 2023