« La mixité n’est pas un sujet de femmes mais de Société »

Interview de Valérie LION, rédactrice en chef de ViveS Média

Le média ViveS, premier média consacré à l’indépendance économique et financière des femmes, a publié cet été une série sur « ces femmes qu’on n’attendait pas » : des femmes qui ont choisi des professions majoritairement occupées par les hommes. Chirurgienne, tradeuse, développeuse de jeux vidéo mais aussi charpentière, CRS de montagne ou encore mécanicienne. Nous avons rencontré sa rédactrice en chef, Valérie Lion, pour parler de la mixité des métiers. Le nombre de travailleurs français exerçant un métier mixte [1] a doublé depuis les années 1980 et pourtant aujourd’hui il ne concerne que 15,5 % d’entre eux.

Certains secteurs affichent une sur-représentation de femmes, et d’autres une sur-représentation d’hommes. D’après une étude de l’INSEE, en 2019, les femmes constituaient la quasi-totalité des effectifs des aides à domicile, des esthéticiennes, des secrétaires et assistantes maternelles, et des infirmières, des métiers souvent plus précaires, moins qualifiés, aux temps partiels plus fréquents, donc moins reconnus et bien moins rémunérés que ceux de l’industrie vers lesquels les hommes s’orientent en masse.

47 % des femmes actives se concentrent sur une douzaine de métiers dans la nomenclature INSEE qui comprend pourtant 87 métiers.

Or “le manque de mixité peut engendrer des dysfonctionnements“, souligne Valérie Lion. C’est le cas dans l’Intelligence Artificielle où seulement 11 % des salariés sont des femmes. Pourtant il est impératif que ces nouvelles technologies intègrent la diversité présente dans la société. C’est aussi le cas du numérique où les femmes représentent environ un quart  des effectifs alors que c’est un domaine porteur d’emplois dans les années à venir.

Quels sont les enjeux de la mixité dans les métiers ?

Aujourd’hui les entreprises ont du mal à recruter. Le premier enjeu est donc d’élargir le vivier de main-d’œuvre dans tous les secteurs car les femmes représentent une source importante de compétences, de savoir-faire et de talents.

Un autre enjeu est d’ouvrir le champ des possibles pour les femmes et ce dès le plus jeune âge. Or l’école n’aide pas suffisamment les filles à se projeter sur certains métiers.

Il faut aussi renforcer l’indépendance économique et financière des femmes. Elles ne sont majoritaires qu’au sein de 3 des 10 professions les mieux rémunérées : médecins salariés, avocats et chirurgiens-dentistes.

La mixité permet aussi de redonner de la valeur à des métiers : aujourd’hui plus un métier se féminise et plus les hommes vont le quitter, et plus il va se dévaloriser en termes de rémunération. C’est le cas du métier d’enseignant qui compte 71 % de femmes et une rémunération qui recule depuis plusieurs années.

Enfin, la mixité représente un gain en termes de richesse et de créativité. Plusieurs études l’ont démontré, lorsque coexistent des parcours, des perceptions et des comportements différents au sein d’une équipe, celle-ci se révèle plus innovante et plus performante. 

Pourquoi y a-t-il encore si peu de mixité dans les métiers ?

Le rôle de l’école est primordial : il faut faire venir témoigner des femmes, des rôles modèles, montrer aux jeunes filles le sens d’un métier plutôt que ses contraintes physiques, les aider à dépasser les préjugés. C’est tout l’intérêt du travail mené par des associations comme Elles bougent par exemple.

En réalité tout est histoire de projections. Dès l’enfance, dans l’éducation ou la culture, on induit que les filles sont programmées pour s’occuper des autres, que la force physique est l’apanage des hommes.

Cette idée est loin de la réalité quand on sait que les femmes sont nombreuses à exercer des métiers physiques : c’est le cas de l’infirmière ou de l’aide-soignante qui doit porter, soulever des patients, des personnes hospitalisées.

Autre exemple : les spécialités chirurgicales. Les femmes y restent largement minoritaires. En France par exemple, selon un rapport publié en 2020 par le Conseil national de l’ordre des médecins français, la proportion de femmes chez les spécialistes chirurgicaux était de 31.3 %.

Pourtant deux études canadiennes publiées dans la revue médicale Jama (Journal of the American Medical Association), montrent que les personnes opérées par une femme connaissent moins de complications après leur chirurgie que celles opérées par un homme. Cette différence pourrait être liée au fait que les chirurgiennes opèrent avec plus de précision, de précaution et de concentration. 

Quel peut être le rôle des entreprises pour favoriser la mixité ?

Il faut s’interroger d’abord sur le processus de recrutement. Tout commence par la manière dont va être rédigée une offre d’emploi. Un changement lexical peut être la clé pour plus de mixité. 

En 2013, la banque d’investissement Goldman Sachs avait retiré de ses offres d’emploi et de ses campagnes de communication le terme « agressive» (agressif). Résultat : les candidatures féminines avaient bondi de 50 %.

En 2020, le Cercle Inter-Elles, qui regroupe les réseaux mixité de 16 entreprises de technologie, avait insisté sur la nécessité de sensibiliser les recruteurs à la reformulation des offres d’emploi, en faisant attention au vocabulaire employé et en intégrant davantage les « soft skills ».

Une étude Linkedin a montré que certains mots peuvent avoir un effet dissuasif auprès d’une audience féminine. C’est le cas de l’adjectif “exigeant” : une femme sur 4 s’autocensure face à un environnement de travail décrit comme tel.

 Par la suite, face aux candidats, mieux vaut privilégier une équipe mixte si on veut donner l’image d’une entreprise accueillante pour les deux sexes.

Il faut savoir aussi retenir les femmes. L’entreprise doit penser à l’environnement de travail qui doit être accueillant pour ses salariées :  penser à aménager les locaux et les tenues qui tiennent compte des différences entre les deux sexes, travailler sur l’équilibre vie pro-vie perso etc. L’organisation du travail doit être compatible avec la charge parentale qui incombe encore majoritairement aux femmes quand elles ont des enfants. 

Et lorsque l’entreprise cherche des solutions pour le bien-être de ses salariées, c’est un bénéfice pour l’ensemble des salariés et pour la marque employeur.

La mixité n’est pas un sujet de femmes mais de Société. Il faut changer les représentations, montrer  ce que les femmes apportent aux métiers traditionnellement exercés par les hommes et les satisfactions qu’elles y ont trouvées. Au final tout le monde y gagne. 

[1] : Un métier est considéré comme mixte quand il réunit entre 40 à 60% des deux sexes.

 

Les métiers les plus genrés ( Source INSEE)

 

  • 97 % des secrétaires sont des femmes
  • 87 % des sage-femmes et infirmiers sont des femmes
  • 71 % des employés administratifs de la fonction publique sont des femmes
  • 87 % des pompiers sont des hommes
  • 99 % des ouvriers qualifiés du gros œuvre de bâtiment sont des hommes
  • 89 % des conducteurs de véhicules professionnels sont des hommes

 

Les entreprises pour la Cité a lancé au premier semestre 2023 une grande enquête sur la mixité des métiers. Les résultats et les grands enseignements de cette enquête, à destination de toute organisation employeuse, a pour objectif de pouvoir présenter des indicateurs visant à mieux mesurer les enjeux ; identifier des bonnes pratiques à partager et des solutions pour favoriser la mixité des métiers.

Evénement de restitution à Marseille le 6 octobre : Inscriptions  

Lyon le 10 novembre : Inscriptions

Dates à suivre : Paris et Bordeaux.

A propos de ViveS |www.vivesmedia.fr

ViveS est un media digital au service de l’indépendance économique et financière des femmes, lancé par le groupe Bayard en octobre 2021. Avec sa newsletter hebdomadaire gratuite, chaque jeudi sur abonnement, son podcast Osons l’Oseille et ses parcours vidéo ViveS Académie, ViveS accompagne les femmes pour décomplexer leur rapport à l’argent, conduire leurs trajectoires professionnelles et prendre pleinement leur place dans les entreprises et l’économie.

Pour retrouver la série sur les femmes dans les métiers d’hommes, c’est ici.

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