« Donner un travail et un lieu de vie, c’est changer la trajectoire »

Entretien avec Marylin Causse, directrice de l’association Vivre et Travailler Autrement depuis sept ans.

Pourquoi agir maintenant sur l’emploi des personnes autistes ?

En France, on estime 700 000 adultes avec un trouble du spectre autistique (TSA), dont 400 000, en âge de travailler. 95 % sont au chômage, et on frôle les 100 % pour les adultes souffrant d’autisme avec une déficience intellectuelle. Le vivier est là ; l’accès à l’emploi ordinaire, lui, reste marginal.

Comment est née Vivre et Travailler Autrement et en quoi consiste votre modèle?

L’association est née en 2014 suite à une expérimentation menée à l’initiative de Jean-François Dufresne, ancien DG d’Andros et père d’un enfant porteur d’un TSA :  l’embauche des premiers collaborateurs avec un TSA en milieu ordinaire, à contre-courant des prédictions d’échec formulées à l’époque. Dix ans plus tard, les faits parlent : ça fonctionne et c’est bénéfique pour les personnes, les équipes et la collectivité.

L’emploi, le logement, les loisirs sont les piliers indissociables de notre méthode. Un CDI de 17,5 h/semaine en milieu ordinaire est proposé avec un accompagnement medico social sur site ; et un habitat inclusif à proximité du lieu de travail. Ce triptyque emploi–accompagnement–habitat sécurise les routines et permet d’ajuster sans rupture. L’entrée se fait souvent par une courte mise à disposition via un ESAT, avant la signature du CDI.

Quels ont été les premiers résultats ?

Nous accompagnons des adultes avec trouble du spectre de l’autisme et déficience intellectuelle. Dès 2014, l’expérimentation a porté sur 11 collaborateurs en CDI à mi-temps (postes en laverie, en préparation, en conditionnement). Depuis, le modèle s’est développé dans des entreprises comme Guerlain, LVMH, L’Oréal, Barilla, AF FRAIS. Une douzaine d’entreprises emploient aujourd’hui des collaborateurs avec un TSA et environ 50 sont en attente d’embaucher.

Qu’est-ce que cela change pour les personnes avec un TSA et pour leurs familles?

Un statut de salarié et un cadre stable qui structurent la semaine ; des tâches adaptées qui valorisent l’attention au détail ; des progrès d’autonomie (vie quotidienne, gestion simple de l’argent, déplacements connus) ; et un mieux-être tangible grâce aux liens sociaux au travail et au logement. Une autre place au sein de la société.

Et pour les familles, un quotidien apaisé, des repères clairs et une visibilité sur l’avenir. Il y a beaucoup de fierté quand le proche travaille et progresse ; la famille retrouve du temps et n’est plus seule : nous assumons un partenariat à chaque étape.

Quel est l’intérêt pour l’entreprise ?

Des postes fiabilisés sur des activités précises, une productivité régulière quand le cadre est bien conçu, et des équipes plus soudées. Côté méthode, c’est clé en main : analyse de postes, sensibilisation, formation, aménagements sobres (ex. salle de récupération), puis suivi dans la durée avec nos partenaires médico-sociaux et l’ AGEFIPH/ARD/CD.

Où en est le déploiement territorial ?

Le modèle est opérationnel en Nouvelle-Aquitaine avec deux réalisations, et des études de faisabilité sont en cours ou en attente dans plusieurs départements. Nous avançons avec les ARS (Agence Régionale de Santé) et les Conseils départementaux pour ouvrir de nouveaux sites.

Comment votre action s’inscrit-elle dans les politiques publiques et quelle est la suite ?

Nous sommes alignés avec la stratégie nationale 2023–2027 sur les troubles du neurodéveloppement (TND), qui prévoit notamment de rendre possible l’emploi des personnes avec TSA, de diversifier l’hébergement et de soutenir les entreprises prêtes à recruter.

Il faut désormais changer d’échelle : plus de personnes, plus d’entreprises, sans perdre notre exigence de sur-mesure. Nous formons aussi à l’international et accompagnons des partenaires étrangers. Notre conviction est simple : en mettant en phase les compétences des personnes autistes avec les besoins réels des entreprises, on bouleverse les idées reçues et on gagne tous. Ce projet a démontré qu’employer des adultes avec un TSA “sévères” est possible et bénéfique pour tous. Les salariés concernés montrent une forte fidélité, un absentéisme contenu et une productivité qui peut être parfois supérieure sur des tâches adaptées, tandis que les équipes gagnent en sens et en cohésion. Pour la société, le coût global est réduit face aux solutions uniquement spécialisées et cela entraîne un changement de regard sur l’employabilité. Le cap est fixé : industrialiser l’inclusion sans renoncer à l’accompagnement sur-mesure.

Les entreprises pour la cité : un réseau pionnier

Depuis plus de 30 ans, notre association mobilise et inspire les entreprises en matière d’innovation sociale (diversité, inclusion, égalité des chances, mécénat et engagements citoyens). Nos équipes animent la réflexion et accompagnent un collectif d’entreprises engagées en faveur de l’intérêt général, par le partage et la co-construction. 

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