Changer le regard sur les salarié.es aidants

Au moins neuf millions de Français s’occupent d’un parent handicapé ou âgé. Ces aidant.es  sont de plus en plus nombreux avec le vieillissement de la population, selon les associations. Une population hétérogène, avec des niveaux d’engagement très variés, comme le relève la DREES dans une étude de mai 2023. Le service statistique des ministères sociaux évalue que 1,8 million d’aidant.es consacrent plus de 20 heures par semaine à la personne aidée.

En 2030, parce que la population vieillit, 1 actif sur 4 sera aidant.e. Tout le monde peut être amené à le devenir, mais les femmes sont majoritaires dans ce rôle (elles représentent 60 % des aidants).

Aujourd’hui 7O % des aidant.es sont des actifs. Seulement 25 % d’entre eux ont informé leur employeur de leur situation ; 52 % se refusent à en parler selon la dernière édition du baromètre de l’Observatoire Ocirp (1) des salarié.es aidants. La majorité redoute d’en parler de peur d’être fragilisée dans son poste. Le baromètre Ocirp souligne ainsi toute l’ambiguïté des entreprises sur le sujet : si 89 % des DRH affirment que la situation des aidant.es est un sujet prioritaire dans leur entreprise et 73 % qu’ils se sentent suffisamment informés sur la question, ils sont 53 % à estimer que c’est aussi un « sujet tabou » et 55 % reconnaissent que le nombre d’aidant.es n’est pas suffisamment bien évalué dans l’entreprise.

Toujours selon le baromètre Ocirp, 57 % des aidant.es constatent un impact sur leur charge mentale, 50 % sur leur équilibre de vie, et autant sur leur santé. 51 % d’entre eux déclarent même avoir déjà renoncé à consulter un médecin, le plus souvent par manque de temps.

Ces salarié.es font face à une charge mentale importante, entrainant des difficultés pour concilier vie personnelle et professionnelle avec des conséquences pour l’entreprise, qui doit faire face à des coûts cachés tels que l’absentéisme et la baisse de productivité : 45 % des aidant.es assurent que leur situation a un effet sur l’organisation de leur travail, 44 % sur son efficacité et 43 % sur sa qualité. Plus d’un quart (29 %) reconnaissent aussi avoir eu recours une ou plusieurs fois à un arrêt-maladie. En moyenne, ces salarié.es totalisent 16 jours d’absence par an pour se consacrer à leur charge d’aidant.es et 24 % des arrêts sont non prévus. Sans compter qu’ils sont exposés à un risque de surmortalité de 60 %, d’après les données de l’Observatoire solidaire de la Mutuelle Générale.

« Que ce soit en termes de santé, d’efficacité, de productivité ou d’absentéisme, l’aidance génère des coûts cachés pour les entreprises », souligne Nathalie Chusseau, professeure d’économie à l’université de Lille. D’après elle, l’aidance coûterait entre 24 et 31 milliards d’euros aux entreprises du secteur privé.

Le soutien aux salarié.es aidants permettrait donc de réduire les coûts sociaux pour l’entreprise. 

Les aidants peuvent aussi être des atouts pour l’entreprise : d’après Thierry Calvat, sociologue, les compétences acquises par les aidant.es pourraient bénéficier à leur entreprise : capacité à s’auto organiser, autonomie, productivité, capacité à travailler avec les autres, capacité à gérer des situations complexes, agilité, soucis d’analyse, capacité à prioriser, à gérer son stress, à gérer des imprévus, sens de l’adaptation.

L’ entreprise a donc tout intérêt à prendre les choses en mains. Pour 81 % des DRH, le soutien aux aidant.es est un levier de performance pour l’entreprise, améliorant le bien-être des salarié.es et leur productivité. Ils soulignent aussi les avantages pour la qualité de vie au travail, l’éthique, la marque employeur, et la réputation de l’entreprise. 

Comment aider les salarié.es aidants ?

Des solutions existent pour l’entreprise :

  • Il faut tout d’abord briser le tabou de l’aidance au travail ;
  • Il faut instaurer le dialogue en communiquant autour de ce sujet, sensibiliser l’ensemble des salarié.es à l’aidance ;
  • L’ entreprise peut mettre à disposition des salarié.es aidants, des outils sur ce sujet, en donnant notamment l’accès à des plateformes d’informations ( ex Responsage ; Tilia ; Nouveau souffle ; la Compagnie des aidants ; Ma boussole) ;
  • L’ entreprise peut informer aussi sur les congés auxquels le salarié.e aidant a droit : congé proche aidant pour accompagner un malade à ses rendez-vous médicaux ; le congé de solidarité familiale pour le salarié.e aidant qui accompagne un proche en fin de vie et enfin le congé de présence parental pour un enfant en situation de handicap gravement malade ou accidenté.

Quelques bonnes pratiques

Certaines entreprises mettent en place des aménagements spécifiques pour leurs salarié.es aidants comme la semaine de 4 jours, des jours de congés supplémentaires, des semaines de télétravail à 100 % 1 fois/mois, ou encore font appel à des dispositifs internes (psychologue, assistante sociale, référent). 

D’après les managers, les aidant.es ayant pu bénéficier de ces dispositifs, gagnent en concentration, génèrent moins de stress et développent une meilleure organisation. De leur côté, les collaborateurs et collaboratrices concernés se sentent mieux reconnus au sein de l’entreprise.

Il n’y a pas de solution miracle. Malgré les nombreux dispositifs, tout va dépendre aussi du salarié.e, de sa situation personnelle et des moyens de l’entreprise. L’ aidance chez le salarié.e est un véritable enjeu que l’entreprise ne peut ignorer. 

Exemple de Wurth

L’ entreprise alsacienne est concernée par le sujet de l’aidance de plusieurs années. Emilie SENGEL référente handicap de Wurth France qui pilote le dispositif des aidant.es témoigne :  

« Dès août 2021, l’entreprise a mis en place un don de congés pour le salarié.e aidant qui ne dispose plus de congés propres. En parallèle, une campagne de demande de dons anonymes avait été lancée permettant à chaque collaborateur ou collaboratrice qui le souhaitait de faire don d’une journée par an. Cette campagne de dons est désormais mise en place trois fois/ an.

Dès le mois de juin 2022, l’entreprise a proposé un service dédié aux aidant.es, grâce à notre partenaire AG2R  « Aux côtés des aidants ». Ce service met à disposition du salarié.e concerné un « Care Manager » expert dans le domaine de l’aidance qui va pouvoir accompagner le salarié.e de façon personnalisée en lui proposant un plan d’action adapté à sa situation après un bilan personnel.

Lors de la journée des aidants du 6 octobre 2022, une enquête dédiée a été lancée auprès de l’ensemble des collaborateurs et collaboratrices de Wurth afin d’évaluer leur connaissance sur l’aidance. Parmi la centaine de réponses obtenues, il s’est avéré que 10 % des répondant.es ont déclaré ne jamais avoir entendu parlé du sujet des aidant.es et 80 % d’entre eux ont estimé que ce sujet devait être abordé dans l’entreprise. 50 % ont connaissance de la situation d’aidance d’un ou d’une de leur collègue.

Au moment de l’enquête, 13 % des répondants et répondantes avaient déjà été aidants dans le passé et 30 % l’étaient encore, et parmi ces salariés, 55 % ont présenté des difficultés à concilier vie pro et vie perso.

Seulement 32 % des collaborateurs et collaboratrices ayant répondu à l’enquête, avaient évoqué leur situation au travail ; 18 % n’en avaient pas parlé ne voulant pas mélanger vie pro/vie perso, et 18% n’en avaient pas parlé estimant que l’entreprise ne pouvait pas les aider.  

Il s’avère que le sujet reste encore tabou et que l’entreprise doit proposer des actions concrètes. (accompagnement personnalisé, aménagement des horaires de travail, dons de congés, etc.)

Côté salarié.es, ces derniers attendent de l’entreprise plus de flexibilité sur les horaires, plus de télétravail, des jours de congés supplémentaires ou des autorisations d’absence.  

La population vieillissante amènera avec elle de plus en plus de salarié.es aidants dans les entreprises et nous nous devons de pouvoir les accompagner au quotidien. »

 

(1): Etude réalisée par l’OCIRP/Viavoice entre mai et juin 2023

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