Changer de Regard : mettre fin à la discrimination sur l’apparence physique

En 2021, l’Organisation internationale du travail (OIT) pointait que chez les salariés, l’apparence physique était le 1er motif cité (40%) comme critère de discrimination derrière les origines et la couleur de peau. Or être victime de discrimination ou de harcèlement pour son apparence a des conséquences délétères sur l’estime de soi et la santé en général.

La perception de la beauté des autres est particulière au travail“, décrit Jean-François Marmion, psychologue et auteur de Psychologie des beaux et des moches. On a un meilleur regard sur les belles personnes et on leur attribue des qualités intérieures.

Ce traitement de faveur peut avoir de vraies conséquences économiques. « Les salariés considérés comme beaux ont tendance à être mieux payés et échappent davantage aux licenciements économiques », précise Jean-François Marmion.

Des études ont montré que porter des lunettes était associé à la bonté et à l’intellect, être chauve à l’idéalisme et avoir une barbe à l’anticonformisme et à la bonté.

Les individus considérés comme attractifs ont ainsi plus de chance d’être recrutés. Entre deux candidats de tailles différentes, 72% des recruteurs choisissent le plus grand car la taille est associée au leadership.

Des études internationales, notamment au Royaume-Uni et en Chine, ont démontré l’existence d’une “prime de beauté”, où une apparence jugée agréable peut augmenter les revenus d’environ 12%. À l’inverse, une “pénalité de laideur” peut réduire ces revenus de 5 à 10%. Ces chiffres illustrent comment les critères esthétiques peuvent influencer de manière significative la carrière des individus.

La discrimination liée à l’apparence physique affecte de manière disproportionnée les femmes, qui sont souvent jugées selon des critères plus stricts. Cette situation exacerbe les stéréotypes de genre existants dans plusieurs domaines professionnels.

Au regard du Code du travail français, ces comportements sont punissables mais faut-il encore apporter des preuves. La discrimination sur l’apparence physique reste encore difficile à faire sanctionner. D’après Jean-François Marmion, « La France tolère a priori la discrimination liée à l’apparence sur laquelle on peut avoir une influence, telle que la tenue vestimentaire ou la coupe de cheveux. »

Les plaintes pour discrimination avec pour motif l’apparence physique sont ainsi très rares.

La cause ? Elles sont souvent requalifiées : pour racisme (si c’est la couleur de peau), pour mœurs (si c’est la façon de se vêtir ou de se coiffer), pour orientation sexuelle (dans le cas d’un bijou jugé trop féminin pour un homme), pour signe religieux (le port de signes jugés ostentatoires), pour handicap (pour une malformation corporelle). 

Grossophobie : un frein à l’embauche?

Parmi les discriminations liées à l’apparence physique, le surpoids ou l’obésité est la troisième cause de discrimination à l’embauche. 

Paresseuses, pas en bonne santé ou pas motivées… La perception à l’égard de ces personnes est particulièrement dure. 

Une femme en surpoids ou obèse a huit fois moins de chance d’être embauchée qu’une femme qui ne l’est pas rappelait le Défenseur des droits en 2021.

Un travail et une éducation à refaire pour les recruteurs, mais aussi pour ceux qui font l’entreprise au quotidien. Selon le Défenseur des droits, 45 % des demandeurs d’emploi estiment qu’il est acceptable de refuser un emploi à quelqu’un du fait de sa corpulence.

 « La grossophobie en milieu professionnel existe mais personne n’en parle. C’est d’ailleurs très difficile d’obtenir gain de cause pour les victimes », explique Delphine Tharaud, juriste.

La discrimination capillaire, nouveau critère de discrimination ?

Le 20 mars dernier, l’Assemblée nationale a voté une proposition de loi du député Oliver Serva contre la « discrimination capillaire. »

Son texte prévoit d’inscrire les discriminations relatives à « la coupe, la couleur, la longueur ou la texture des cheveux », à la liste des discriminations passibles d’une condamnation dans le code du travail, le code pénal et le code général de la fonction publique. 

Le texte est inspiré de législations en vigueur dans une partie des États-Unis, notamment du « Crown Act » promulgué en 2019 en Californie contre la discrimination capillaire.

Olivier Serva a évoqué « les femmes noires qui se sentent obligées de se lisser les cheveux » avant un entretien d’embauche, « les personnes rousses, victimes de nombreux préjugés négatifs », ou les « hommes chauves ».

Aux États-Unis, où les études ethniques sont autorisées, 66% des femmes noires changent ainsi de coiffure pour un entretien d’embauche, et 41% se les lissent, conclut une étude publiée en février 2023 par la marque de cosmétique Dove et le réseau social LinkedIn. 

Ces dernières ont 2,5 fois plus de chances d’être perçues comme “non-professionnelles”, poursuit encore cette étude, et 20% ont déjà été renvoyées chez elles à cause de leurs cheveux tandis que 25% d’entre elles pensent qu’elles se sont vu refuser la possibilité de passer un entretien d’embauche à cause de leur coiffure, et même 33% des 25-34 ans. 

Au Royaume-Uni, une étude menée Halo Collective, qui œuvre pour un avenir sans discrimination capillaire, a montré que 59% des élèves noirs sont victimes d’insultes ou de questions gênantes sur leurs cheveux à l’école. Toujours selon l’organisation, une femme noire sur cinq se sent obligée de lisser ses cheveux pour aller au travail. Le député invoque aussi une “étude de 2009 en Grande-Bretagne” selon laquelle une femme blonde sur trois se colorerait les “cheveux en brun afin d’augmenter ses chances professionnelles”. 

Outre l’existence et la reconnaissance de ce type de discrimination, le député cherche à sensibiliser sur ce qui en découle notamment sur le plan sanitaire et économique. Selon une étude des Instituts américains de la santé, les NIH (National Institutes of Health), publiée en octobre 2022, dans le Journal of the National Cancer Institute, les femmes qui utilisent des produits chimiques pour lisser leurs cheveux présenteraient en effet un risque accru de cancer de l’utérus.

Les actions des entreprises dans le domaine

Il faut tout d’abord souligner que l’entreprise n’est pas soumise au bon vouloir de ses salariés en matière d’apparence physique. Dans certains métiers comme le mannequinat ou le spectacle, l’apparence peut constituer un critère de recrutement. C’est également le cas pour des motifs d’hygiène et de sécurité (taille dans le transport aérien), de la même façon, dans le secteur de la restauration, de l’agroalimentaire ou médical, les restrictions imposées aux salariés s’expliquent par les règles d’hygiène de la profession.

Mais il faut le constater, même les entreprises les plus investies dans la lutte contre les discriminations travaillent peu le sujet de l’apparence. On reste très loin des actions menées sur d’autres critères comme le handicap ou l’âge.

Il est important de considérer le sujet, que ce soit chez les dirigeants, les recruteurs, les DRH et les managers. Cela passe par la prise de conscience de ses préjugés fondés sur l’apparence, et de bien en comprendre les mécanismes comme les effets possibles.

 

N.Ducongé – Les entreprises pour la Cité

 

Pour aller plus loin :

« Le poids des apparences », de Jean-François Amadieu, Odile Jacob, 2005.

« La société du paraître », de Jean-François Amadieu, Odile Jacob, 2016.

« Physical appearance as invisible discrimination », d’Isabelle Barth et Anne-Lorraine Wagner, Emerald Publishing, 2017.

« Psychologie des beaux et des moches » (éd. Sciences humaines) – Jean-François Marmion. 

Mardi 14 mai – Webinaire #1 : Aller au delà des apparences au travail +  Mardi 21 mai – Webinaire #2 : Quand l’intersectionnalité s’en mêle.

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