La confiance vue par une philosophe

Interview — Camille Prost 

Docteure en philosophie, spécialiste de la philosophie de la musique et auteure d’une thèse intitulée «Une ontologie du quatuor à cordes, philosophie de la musique pour quatre instrumentistes.» Certifiée de l’Essec, titulaire d’un diplôme de Directrice de la collecte de fonds et du mécénat. 

La confiance est souvent porteuse d’un paradoxe : est-elle un préalable, un point de départ ou la conséquence d’une relation éprouvée, donc, un point d’arrivée ?

C’est une excellente question car c’est là que réside le nœud du problème. J’entends souvent dire « il doit mériter ma confiance » ou « j’attends de voir si elle est digne de confiance » comme s’il s’agissait de gagner quelque chose, comme si la confiance était un point d’arrivée ou une récompense. Ces conceptions négligent une composante essentielle : la confiance nous place irrémédiablement dans un état de vulnérabilité et de dépendance, que cela nous plaise ou non. Nous pouvons toujours attendre des garanties, des preuves, tarder à faire confiance ; ce sera toujours un risque.

L’étymologie du mot est non seulement très belle, mais aussi fort instructive. En latin, le substantif confidentia est un dérivé de confidere  (cum, « avec » et fidere « fier ») qui signifie qu’on remet quelque chose de précieux à quelqu’un, comme un cadeau, en se fiant à lui et en s’abandonnant à sa bienveillance et sa bonne foi. Des liens sémantiques étroits existent d’ailleurs entre la confiance, la foi, la fidélité, la confidence…

Faire confiance, c’est un pari sur l’inconnu, un saut dans le vide, un acte de foi en l’humanité. Faire confiance signifie parier sur quelqu’un alors que l’on ne sait pas tout et qu’il ne sera jamais possible de tout savoir. La confiance est donc un préalable aussi risqué que nécessaire : que serait notre monde sans confiance ?

Confiance et philanthropie : n’est-ce pas un peu tautologique ? Et pourtant l’association des deux n’est pas une évidence… pourquoi ?

Ce que je viens d’énoncer est non seulement valable dans la sphère de la philanthropie mais décuplé. Pourquoi ? Parce que nous sommes dans l’univers de la générosité, du don, de l’intérêt général ; autant de termes qui évoquent d’emblée, – et c’est bien pour cela que vous parlez de tautologie – la bonté. Le philanthrope est celui qui veut faire le Bien et le faire bien. Toutefois, si la générosité est une qualité, une valeur, une philosophie de vie pour certains, le mécénat, lui, est un cadre légal et fiscal. Il implique donc nécessairement des contrats, des conventions, des négociations, des contreparties. Rester en équilibre entre ces deux tendances contradictoires est un véritable métier. La confiance est une matière première, essentielle et précieuse, que le binôme mécène-mécéné va travailler, mettre en forme et en valeur, faire grandir et sublimer.  

Confiance et entreprise : est-ce vraiment compatible ?

Avant d’envisager cette compatibilité, il faut commencer par accepter la contradiction, sinon nous nous accoutumons d’un flou nourri de langue de bois, de mauvaise foi, voire de mensonges. « La confiance n’exclut pas le contrôle » est une phrase qui n’a aucun sens. Évidemment qu’elle l’exclut ; elle en est l’exact opposé. Le monde du travail est le monde du contrat, de la clause, de la gestion de risques… La confiance, dans tout cela, ne va pas de soi. 
Une fois ce travail définitionnel effectué, nous pouvons avancer dans la réflexion : personne n’a envie de fréquenter une entreprise qui ne laisse aucune place à la confiance, alors comment faire ? Il s’agit d’accepter le contrôle, qui est nécessaire, pour ensuite identifier les interstices dans lesquels la confiance peut malgré tout se glisser. Ce sont des zones mouvantes qu’il s’agit de définir et surtout de préserver, à l’image des réserves naturelles protégées, car rien n’est jamais acquis. Ce travail, passionnant et nécessairement sur-mesure, incombe au dirigeant, certes, mais aussi à toutes et tous dans l’entreprise : à chaque organisation sa « carte de la confiance », sur le modèle de la carte du Tendre dessinée par les autrices du XVIIème siècle. 

La philosophie est un outil formidable pour dessiner ce type de cartographie, tout en nuances.

 

Annexes

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