Dans son dixième rapport publié le 3 juin 2025, l’Observatoire des inégalités consacre un chapitre à l’éducation. Selon l’étude, les enfants de cadres supérieurs restent surreprésentés dans les élites scolaires, composant plus des deux tiers des effectifs des classes préparatoires les plus prestigieuses.
Si quelques signes encourageants émergent comme le taux d’illettrisme des adultes scolarisés en France qui a été divisé par deux en moins de vingt ans (4 % aujourd’hui), et le nombre de jeunes sortant du système scolaire sans diplôme qui a lui aussi nettement reculé (de 11,8 % à 7,6 %), ces progrès ne doivent pas masquer le poids persistant des inégalités sociales dans le système éducatif français.
L’école française, moteur toujours puissant des inégalités sociales
Les inégalités scolaires se forment très tôt et se creusent à partir de la fin du collège. Si les enfants d’ouvriers et de cadres sont encore présents en proportions équivalentes en classe de troisième, leurs trajectoires divergent nettement dès la seconde. Les enfants d’ouvriers sont ainsi 6,5 fois plus nombreux à s’orienter vers un CAP que ceux de cadres, tandis que seuls 41 % d’entre eux accèdent à l’enseignement supérieur, contre 73 % chez les enfants de catégories sociales favorisées. Et malgré quinze années d’efforts, la présence des classes populaires à l’université reste quasi inchangée (27 % en 2024 contre 26,4 % en 2009).
Dans une société où les trois quarts des actifs travaillent dans le tertiaire, l’école devrait être un levier de mobilité sociale. Pourtant, elle reste « une machine à reproduire les inégalités », déplore Emmanuelle Auriol, membre du Cercle des économistes.
Dès la maternelle, les écarts sont nets. « Les milieux les plus favorisés affichent des scores nettement supérieurs à ceux des enfants de milieux défavorisés, dans tous les domaines évalués », note l’Observatoire des inégalités. En mathématiques, l’écart est saisissant : 91 % des jeunes favorisés maîtrisent les compétences de base, contre seulement 50 % des jeunes défavorisés.
Les inégalités touchent aussi les filles dès le CP. Selon une étude du ministère de l’Éducation nationale relayée par l’Observatoire, filles et garçons ont un niveau équivalent en mathématiques à l’entrée en primaire. Cinq ans plus tard, les filles sont distancées (254 contre 246 selon le test Timss en CM1), en partie à cause des stéréotypes qu’elles subissent.
Or l’inaction contre ces inégalités, entrainent un décrochage scolaire qui a un coût pour notre société.
Le décrochage scolaire : un coût humain et collectif majeur
Chaque année, environ 76 000 jeunes quittent le système scolaire sans diplôme, ou avec pour seul bagage le brevet. Si le phénomène a diminué ces dernières années, le décrochage scolaire continue de peser lourdement sur les parcours individuels et sur notre avenir collectif.
Pour les jeunes concernés, les conséquences sont profondes et durables. En 2025, l’absence de diplôme est plus que jamais un facteur d’exclusion sociale et professionnelle. Sur un marché du travail de plus en plus exigeant, les jeunes non qualifiés peinent à accéder à un emploi stable. À cette précarité s’ajoutent souvent une perte de confiance, un sentiment d’inutilité et de marginalisation.
Mais les effets du décrochage dépassent l’échelle individuelle. Il représente un immense gâchis pour la société : une perte de talents, d’énergie et de créativité. Selon le Boston Consulting Group, chaque décrocheur coûte à la collectivité 340 000 euros sur l’ensemble de sa vie : 260 000 euros en manque à gagner fiscal et 80 000 euros en dépenses publiques (prestations sociales, chômage, santé, justice). Au total, cela représente chaque année une dette publique implicite de 26 milliards d’euros.
Ce désastre humain est aussi un échec de notre promesse républicaine d’égalité des chances. Depuis une quinzaine d’années, de nombreuses initiatives ont vu le jour pour prévenir le décrochage ou accompagner les jeunes vers l’insertion. Ces démarches s’appuient notamment sur un suivi individualisé, une meilleure compréhension des besoins de chaque jeune, et un soutien à l’orientation choisie.
Face à l’ampleur du défi, il est urgent de renforcer ces approches, et d’impliquer tous les acteurs – école, collectivités, associations, familles… et entreprises – pour construire des parcours d’avenir pour chaque jeune.
Stages interentreprises : une immersion collective pour ouvrir le champ des possibles
Dans le cadre de son engagement en faveur de l’égalité des chances, l’association Les entreprises pour la Cité a organisé cette année dix stages interentreprises à destination d’élèves de troisième et de seconde, répartis dans huit villes. Les stages interentreprises de troisième et de seconde ont des objectifs distincts mais complémentaires, tous deux centrés sur l’orientation et la découverte du monde professionnel
Au total, 91 jeunes ont bénéficié de cette initiative qui repose sur une logique de coopération entre plusieurs entreprises membres accueillantes.
Conçus comme des parcours collectifs de découverte du monde professionnel, ces stages permettent à des élèves d’explorer différents secteurs d’activité en une ou deux semaines. Visites d’entreprise, présentations de métiers, ateliers CV, sensibilisation à la cybersécurité, conférences de rédaction, visites de chantiers ou encore sorties culturelles ont rythmé ces immersions, conçues pour éveiller la curiosité et renforcer la confiance en soi.
Les entreprises participantes – au nombre de 43 cette année – ont accueilli les élèves dans des villes comme Paris, Lyon, Nantes, Marseille, Nice, Colomiers, Bischheim et Saint-Ouen.
ADECCO, APICIL, ARTE, ARKOPHARMA, ASSEMBLÉE NATIONALE, AUCOP, AUTOCARS BB, AXYS, CAIPDV / ASLLIC, CAPGEMINI, CARREFOUR, CEGELEC LOIRE OCÉAN, CONTACT AZUR, EDF PAYS DE LA LOIRE, EPITECH, EQUANS, FABLAB, FRANCE TV, GSF, GROUPE LA POSTE, INFRA, INTERIMA, KS GROUPE, L’ALSACIENNE DE RESTAURATION, MAISON DU MONDE, LA POSTE, MÉTALLERIE MANISFER, ONE TOO, ONET, PAGEGROUP, PRISMA MEDIA, SAINT-GOBAIN, SCHNEIDER ELECTRIC, SUEZ, TF1, XPO LOGISTICS, AFPJR ESAT LES PRÈS.
Ce dispositif incarne une mobilisation collective et donne à des jeunes un accès concret à des environnements professionnels et leur permet de mieux se projeter dans l’avenir.
Les entreprises, partenaires essentiels contre le décrochage scolaire
Investir dans l’accompagnement des jeunes et la lutte contre le décrochage scolaire est non seulement une nécessité sociale, mais aussi une stratégie économique de bon sens. Les coûts humains et financiers de l’inaction sont bien plus lourds que ceux des actions de prévention. Miser sur la réussite des jeunes, c’est réduire les risques d’échec à la source et ouvrir des perspectives concrètes d’avenir.
Dans cette dynamique, les entreprises ont un rôle déterminant à jouer. En soutenant des dispositifs comme le mentorat, les stages de découverte ou les initiatives associatives telles que Innov’Avenir , elles deviennent des partenaires éducatifs à part entière. À travers l’apprentissage ou l’alternance, elles offrent également des parcours concrets qui redonnent du sens à l’école et préparent à l’emploi.
Cet engagement est bénéfique pour tous : il aide les jeunes à se construire un avenir et permet aux entreprises de former des talents en lien direct avec leurs besoins.
La lutte contre le décrochage ne peut reposer uniquement sur l’école. Elle engage l’ensemble de la société : collectivités, familles, associations… et entreprises. Chacune, à sa manière, contribue à une ambition collective : permettre à chaque jeune de trouver sa place dans l’économie et dans la société.