Il y a un siècle, Paris accueillait les premiers « Jeux olympiques féminins », une initiative audacieuse lancée par Alice Milliat en réponse à l’exclusion des femmes des Jeux olympiques traditionnels. Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux olympiques modernes, s’opposait farouchement à leur participation, mais les sportives de l’époque, refusant d’être marginalisées, ont pris leur destin en main. C’est ainsi qu’Alice Milliat créa en 1921 la Fédération sportive féminine internationale, suivie en 1922 par l’organisation des premiers « Jeux mondiaux féminins », un événement symbolique qui a ouvert la voie aux revendications des femmes dans le sport.
Jusqu’en 2000, certaines disciplines restent toutefois interdites aux femmes comme le lancer du marteau, le saut à la perche, le waterpolo ou l’haltérophilie. Aujourd’hui, la charte olympique rend obligatoire la présence des femmes dans tous les sports y compris la boxe.
Si cette année, pour la première fois aux Jeux olympiques, la parité est atteinte entre les athlètes, cette parité n’est malgré tout pas gagnée, les femmes restant notamment minoritaires aux Jeux Paralympiques ou encore dans les instances sportives !
En 2022, la France recensait 15,4 millions de licenciés en club à l’année, dont moins de 38% de femmes. Et sur les 8,5 millions de licences de sports olympiques, seul un tiers se conjugue au féminin.
Yves Raibaud, géographe, note aussi dans son étude « Genre, urbanité et pratiques sportives », que les trois-quarts des budgets publics consacrés aux loisirs et au sport sont dédiés aux garçons. L’activité sportive masculine reste prioritaire pour les clubs, les municipalités et les fédérations.
Des inégalités dès le plus jeune âge
Comme le souligne Edith Maruéjouls, spécialiste en géographie du genre, les inégalités commencent très tôt, à l’école notamment dans l’occupation de l’espace public, les filles d’un côté et les garçons de l’autre : « on estime que 80% des cours de récréations sont occupées par des garçons qui jouent au foot ».
Ce phénomène d’exclusion est même visible dès la crèche – d’après Edith Maruéjouls- où les garçons accaparent les draisiennes, outils essentiels pour le développement de la motricité.
Ce déséquilibre se poursuit à l’adolescence, où les stéréotypes de genre continuent de modeler la pratique sportive des filles. Selon Nicole Abar, ancienne championne de football, ces inégalités sont renforcées par des injonctions tacites à éviter le risque ou la blessure. « On fabrique du handicap par amour », déclare-t-elle dans son documentaire « La conquête de l’espace » qui met en lumière la limitation de la liberté de mouvement des filles dès leur plus jeune âge.
Les inégalités de pratique sportive s’accentuent à la puberté. Les jeunes filles, soumises à des normes esthétiques, délaissent les sports qui développent force et puissance au profit d’activités jugées plus « féminines », comme la danse ou la gymnastique. Cette absence de stimulation physique a des conséquences notables : 80 % des filles âgées de 11 à 14 ans ne respectent pas les recommandations de l’OMS de pratiquer au moins 60 minutes d’activité physique par jour, contre 66 % des garçons.
Ces choix de disciplines limitent aussi les opportunités de développement personnel. Comme l’exprime Béatrice Barbusse, Docteure en sociologie, agrégée de Sciences sociales, vice-présidente déléguée de la Fédération française de handball et première femme à avoir présidé un club professionnel, le sport lui a appris l’importance de la détermination et de l’affirmation de soi. Ces compétences, acquises sur le terrain, se révèlent essentielles dans le monde du travail et la gestion de carrière.
L’accès difficile à la gouvernance sportive
Si le sport permet aux femmes de s’affirmer, leur accès aux instances dirigeantes reste encore un obstacle majeur.
Le CIO aura mis 90 ans avant d’accueillir les premières femmes en son sein en 1981.
Pourtant comme le rappelle Béatrice Barbusse : » La féminisation des instances est une des solutions pour créer un environnement sportif plus égalitaire. »
D’après elle, « Il est important de rappeler les barrières et les profondes inégalités que rencontrent les femmes lorsqu’elles parviennent à atteindre les marches du pouvoir sportif, comme il est également fondamental de montrer ce qu’elles font, qui elles sont, les difficultés concrètes qu’elles rencontrent dans l’exercice de leur fonction. … « Les dirigeantes sportives vivent des inégalités importantes et des situations sexistes dont on ne parle pas suffisamment. »
Le Livre blanc 2GAP 2024, intitulé « Femmes, sport et gouvernance », fait état de la faible présence des femmes dans les postes décisionnels du monde sportif. En Europe, seulement 14 % des postes de gouvernance sont occupés par des femmes dans les fédérations sportives. En France, malgré des lois récentes visant à instaurer la parité dans ces instances, la situation progresse lentement, avec seulement 13 % des femmes occupant des postes d’entraîneurs et elles sont moins de 20 % à la tête des fédérations.
Ce rapport propose des mesures concrètes pour améliorer la gouvernance partagée, comme l’instauration de quotas plus stricts et la médiatisation accrue des sportives. La visibilité médiatique est, en effet, un levier essentiel pour entretenir les imaginaires des enfants. Pourtant le sport féminin ne représentant que 5 % des contenus sportifs diffusés à la télévision française, la vraie difficulté réside dans les enjeux financiers, d’audience et de rentrées publicitaires.
Vers une évolution nécessaire
Afin de corriger ces déséquilibres, il est essentiel de repenser les espaces sportifs dès l’école, en veillant à ce que les filles puissent également s’approprier les terrains de jeu. Il est également crucial de déconstruire les stéréotypes de genre à travers la mise en avant des rôles modèles féminins et l’égalité des moyens alloués aux sportives en termes d’équipements et de staff mais aussi de rémunération.
Comme le souligne Brigitte Grésy, ancienne présidente du Haut Conseil à l’égalité, il est important de rappeler que de nombreuses femmes leaders sont aussi d’excellentes sportives, à l’image de Christine Lagarde, ancienne nageuse accomplie. Le sport permet de développer des qualités précieuses pour accéder à des postes de pouvoir, et c’est en renforçant la place des femmes dans la gouvernance sportive que l’on peut espérer des avancées durables.
Le développement du sport féminin est très lié à l’évolution de la femme dans la société, mais le sport a mis plus de temps que la société à être égalitaire, notamment à cause d’un entre-soi masculin, où pendant vingt ans, les mêmes personnes sont restées à la tête des fédérations. « Donner le pouvoir aux filles, leur apprendre à prendre leur place et déconstruire les stéréotypes de genre par le sport, c’est aussi à long terme lutter contre les violences faites aux femmes » Nicole Abar.
Sources/ Pour aller plus loin :
- Nicole Abar documentaire « la conquête de l’espace » https://www.youtube.com/watch?v=RgIpmYoCKGE
- « Dirigeantes Sportives et plafond de verre, une histoire inachevée » Béatrice Barbusse – 2024
- « Femmes, sport et gouvernance » – Livre blanc 2GAP- 2024
- « Les Femmes aux Jeux, un parcours sinueux depuis 1896 » Julia Solans et Julien Moreau – juillet 2024
- « Faire je(u) égal : Penser les espaces à l’école pour inclure tous les enfants » Edith Maruéjouls – 2022
- Yves Raibaud « Genre, urbanité et pratiques sportives »