Les responsables de la diversité naviguent dans un paysage professionnel complexe, tiraillés entre ambitions éthiques et réalités d’entreprise. Aux Etats – Unis depuis 2023, des procès et accusations de discrimination inversée ont incité des entreprises renommées à revoir leurs politiques d’inclusion. L’ouvrage de Laure Bereni, “Le management de la vertu,” met en lumière les défis et contradictions auxquels sont confrontés ces managers et propose une réflexion critique sur le rôle et l’impact des politiques de diversité, tout en reconnaissant la détermination de ces professionnels à promouvoir des changements significatifs.
Aux États-Unis, les managers de la diversité doivent faire face à une remise en question croissante et les entreprises sont confrontées à des procès. Parmi les plus notables, la plainte de Ryan Waters, un cadre des ressources humaines, affirmant avoir été licencié en raison de sa couleur de peau blanche, a marqué les esprits en janvier 2023. Ce cas s’inscrit dans une série de litiges où des hommes blancs se disent victimes de discrimination raciale.
Les managers de la diversité aux Etats – Unis dans un paysage complexe
Des entreprises renommées, telles que Pfizer et Macy’s, ainsi que des cabinets juridiques comme Perkins Coie, ont été accusés de discriminer les blancs par leurs initiatives en faveur des minorités. Si Pfizer a remporté son procès en démontrant l’absence de victimes identifiées, elle a néanmoins ajusté ses critères d’admission pour éviter d’éventuelles affaires judiciaires coûteuses. Désormais, l’accent est mis sur l’engagement envers la diversité plutôt que sur l’appartenance à une minorité.
La réaction contre les initiatives en matière de diversité, d’équité et d’inclusion s’est étendue de Wall Street à la Silicon Valley au cours de l’année écoulée, après la décision de la Cour suprême dans l’affaire Students for Fair Admissions v. Harvard, qui a mis fin à la discrimination positive dans les admissions à l’université. Les entreprises qui ont défendu les initiatives en faveur de la diversité réévaluent désormais leurs stratégies afin d’éviter les démêlés avec la justice.
Aux États-Unis, les politiques d’inclusion doivent être finement ajustées pour éviter des accusations de discrimination inversée. Alors que certaines entreprises se retirent prudemment de l’approche axée sur les quotas, d’autres réinventent leurs stratégies pour continuer à promouvoir une diversité authentique et inclusive.
« Le management de la vertu » La réalité complexe des managers de la diversité en entreprise
De son côté la chercheuse française Laure Bereni dans son ouvrage « Le management de la vertu » a enquêté pendant 12 ans aux Etats-Unis et en France sur le métier de responsable diversité.
Elle expose les enjeux auxquels sont confrontés ces professionnels. Ces derniers doivent justifier la légitimité de leur mission, souvent perçue comme secondaire par rapport aux fonctions traditionnelles telles que la finance, le marketing ou la gestion des ressources humaines.
Dans son livre, elle dévoile toute l’ambiguïté de ce métier conçu pour promouvoir l’égalité, mais parfois détourné de son ambition initiale et plonge au cœur des contradictions qui entourent le rôle des responsables de la diversité en entreprise.
À travers des interviews menées aux Etats – Unis et en France, elle révèle que les responsables de la diversité se retrouvent souvent coincés entre leur mission de justice sociale et les impératifs de profit de leurs entreprises. Certains responsables diversité expriment leur frustration face à l’instrumentalisation de la diversité comme simple outil de marketing ou de protection juridique. D’autres soulignent les petites victoires et les avancées, souvent invisibles, qu’ils réussissent à obtenir malgré tout.
Diversité aux États-Unis et en France : des approches différentes
Dans son livre, elle décrit le développement historique du management de la diversité aux États-Unis et en France. En Amérique, ce sont souvent des individus issus des minorités qui ont introduit cette forme de gestion, convaincus que la reconnaissance des différences individuelles pourrait motiver les meilleurs profils et ouvrir de nouvelles opportunités de marché. En France, cette gestion est portée par des dirigeants engagés dans la lutte contre l’exclusion, dans une logique citoyenne incitant les entreprises à agir.
Elle explore les relations complexes entre le management de la diversité et le droit. Aux États-Unis, une distinction claire est faite entre les fonctions juridiques et la gestion de la diversité, permettant aux managers de la diversité de se concentrer sur des changements stratégiques au sein de l’entreprise. En France, la frontière entre ces fonctions est plus floue, le cadre juridique antidiscriminatoire constituant la base des pratiques de gestion de la diversité.
Elle compare les approches françaises et américaines en matière de genre et de race. Aux États-Unis, des outils de gestion plus sophistiqués sont utilisés pour mesurer et rentabiliser la diversité, reflet d’une culture de gestion quantitative et d’un débat politique sur la justice raciale. En France, le discours est “aveugle à la race“, les discriminations liées aux origines étant intégrées dans une gestion plus générale de la diversité (handicap, égalité pro..).
Elle examine l’identité professionnelle des managers de la diversité. Aux États-Unis, l’appartenance à une minorité ethno-raciale valorise le manager de la diversité, alors qu’en France, un profil d’homme blanc est souvent privilégié, perçu comme garant d’une expertise respectée.
Certaines politiques de diversité, tant aux États-Unis qu’en France, pour Laure Bereni ont pour mission de permettre aux entreprises d’échapper à l’image d’entités purement économiques fermées sur elles-mêmes et de projeter celle d’un monde des affaires soucieux du bien commun. Mais elle souligne qu’il y a un fossé entre les intentions affichées et la réalité sur le terrain. Une étude du Boston Consulting Group (BCG), révèle que seulement 11 % des cadres dirigeants des entreprises américaines du S&P 500 appartiennent à des minorités ethno-raciales, alors que ces dernières représentent plus de 40 % de la population des États-Unis. De même, seulement un cinquième des postes de direction sont occupés par des femmes. En France, la situation n’est guère meilleure : selon Mozaïk RH, en 2022, seulement 3,5 % des membres des comités exécutifs du SBF 120 portaient un nom à consonance africaine, maghrébine ou asiatique.
« Ce qui est bon pour les affaires, c’est l’apparence de la diversité plus que la diversité elle-même ». Cette citation de Laure Bereni résume l’un des principaux enseignements de son enquête, qui invite à repenser de manière critique le rôle et l’impact des responsables de la diversité dans le monde des affaires contemporain.
Dans son livre, elle ne se contente pas de critiquer ; elle offre également un portrait nuancé et empathique de ces responsables de la diversité, reconnaissant leur détermination et leur engagement.
Finalement les professionnels de la diversité cherchent à apporter des changements significatifs au sein de leurs entreprises, malgré les défis quotidiens. Comme le souligne « Le management de la vertu » leurs efforts pour promouvoir l’inclusion méritent une reconnaissance et un soutien accrus ainsi qu’une réflexion profonde sur les véritables enjeux de la diversité afin de rendre les politiques de diversité plus authentiques et efficaces.
Les entreprises pour la Cité