Les politiques diversité en question ?

Les entreprises américaines développent depuis des années, voire des décennies pour certaines d’entre elles, des politiques internes encourageant la diversité, l’équité et l’inclusion (DEI) à tous les niveaux de leur organisation et dans tous les départements.

Force est de reconnaître que de nombreuses études provenant de cabinets dont McKinsey et le BCG ont démontré dans le passé l’influence positive de plus de diversité dans une entreprise sur ses performances métiers et financières.

Pourtant les entreprises américaines semblent faire une volte-face. Après avoir voulu surfer sur la vague inclusive de 2020, de plus en plus de grandes entreprises américaines reviennent sur leurs engagements.

La question émerge : ces valeurs sont-elles devenues trop contraignantes pour le monde de l’entreprise ?

Des annonces de retrait

McDonald’s et Walmart ont été parmi les premiers à questionner leurs initiatives diversité, équité et inclusion (DEI). Dans la même dynamique, les géants de la tech comme Google, Meta, Microsoft, et Amazon abandonnent progressivement des programmes pourtant largement promus ces dernières années.

En août 2023, Brown-Forman, l’entreprise américaine, propriétaire de la marque de whisky Jack Daniel’s, a déclaré la fin de ses politiques DEI et a annoncé revenir sur ses engagements pris au lendemain des manifestations Black Lives Matter de 2020. Ce retrait intervient malgré des avancées affichées dans son rapport annuel : 43 % de femmes à des postes de direction, 20 % de collaborateurs issus de minorités ethniques et 3 % d’employés LGBTQ+.

Une décision judiciaire aux lourdes conséquences

Tout a commencé en juin 2023, lorsque la Cour suprême des États-Unis a annulé les programmes de discrimination positive dans les admissions universitaires. Ce jugement, résultant de plaintes pour discrimination envers les étudiants asiatiques, a engendré un effet domino. Plusieurs entreprises, notamment Ford, Harley-Davidson et Toyota, ont emboîté le pas à Brown-Forman en ajustant ou abandonnant leurs politiques DEI.

Microsoft a licencié son équipe DEI en juillet 2024, tandis que Meta (Facebook, Instagram, Threads, WhatsApp) ne prendra plus en compte les politiques de diversité, d’équité et d’inclusion avant d’embaucher, de former et de choisir des fournisseurs.

Google, qui avait, en 2020, annoncé s’engager à améliorer la représentation des groupes sous-représentés de 30 % d’ici à 2025, a rebroussé chemin et a réduit ses équipes DEI dès la fin 2023, prétextant des priorités conjoncturelles liées au développement de l’intelligence artificielle.

Amazon et une approche nuancée

Amazon affirme maintenir son engagement en faveur de l’inclusion, tout en modifiant son approche pour se concentrer sur des initiatives « à l’efficacité prouvée ». Dans le même temps, la firme, qui se vante pourtant d’avoir inscrit la DEI dans ses principes fondateurs, n’a néanmoins pas hésité récemment à supprimer le terme « transgenre » et d’autres références à la diversité de ses pages sur les politiques de l’entreprise.

Une opposition croissante et des débats internes

En interdisant la discrimination positive dans les admissions universitaires, la Cour suprême américaine a créé un sillage sur lequel beaucoup ont souhaité glisser et a galvanisé les groupes conservateurs, multipliant les contestations judiciaires des initiatives DEI, qualifiées de « wokisme ». Ces polémiques révèlent un clivage au sein des entreprises. D’un côté, des dirigeants et employés soulignent l’importance de la diversité pour l’innovation et la compétitivité. De l’autre, certains estiment que ces politiques favorisent indûment certains groupes, au détriment de la « majorité ».

Les entreprises devront arbitrer entre deux risques majeurs : écorner leur image auprès d’une clientèle internationale sensible aux questions d’inclusion ou risquer les foudres de la nouvelle administration américaine en maintenant leurs engagements.

Ce revirement peut-il gagner les entreprises françaises ?

Alors qu’aux États-Unis, les politiques de diversité et d’inclusion suscitent des débats polarisés, la majorité des entreprises françaises persistent dans leurs engagements sur ces questions. D’après le baromètre « Les entreprises s’engagent » réalisé par BVA Xsight et publié en novembre dernier, les dirigeants et dirigeantes affichent une réelle prise de conscience de ces enjeux. Près de 90 % d’entre eux considèrent les défis sociaux et environnementaux comme essentiels à la pérennité des entreprises, tandis que 79 % souhaitent intensifier leurs actions en faveur de la diversité et de l’inclusion.

La France peut s’appuyer sur un cadre législatif rigoureux en matière de lutte contre les discriminations, un dispositif inscrit dans le Code du travail et soutenu par des institutions comme le Défenseur des Droits. Ces réglementations imposent notamment des obligations en matière d’égalité salariale et de prévention des discriminations, limitant ainsi les risques de remise en question des politiques D&I. Cette base légale, plus développée qu’aux États-Unis, constitue un socle de protection pour les initiatives en faveur de la diversité et de l’inclusion.

Au-delà du cadre juridique, la mobilisation d’une large coalition d’acteurs – associations, collectivités, acteurs de l’économie sociale et solidaire- joue un rôle clé dans cette dynamique collective favorisant ainsi la continuité des efforts engagés.

C’est le cas de la Charte de la diversité porté par Les entreprises pour la Cité, qui vient de fêter ses 20 ans et qui a servi de modèle dans 21 pays européens. Un document dont les six articles ont pour objectif d’agir en faveur de la diversité dans les entreprises, avec l’objectif de dépasser le cadre légal et juridique de la lutte contre les discriminations à travers une volonté affirmée, mobilisant plus de 5.500 organisations toutes tailles confondues. 

Cependant, les engagements pris par les entreprises françaises ne sont pas à l’abri d’un affaiblissement. Les périodes de tension économique, où la rentabilité devient une priorité absolue, peuvent reléguer les enjeux sociaux au second plan.

Qu’elles soient en France ou aux États-Unis, les entreprises qui échouent à diversifier leurs talents s’exposent à des limites en termes de compétitivité et d’innovation. Si les organisations ne vont pas chercher les talents partout où ils se trouvent, si elles ne s’ouvrent pas à d’autres profils, d’autres origines, d’autres expériences, d’autres points de vue, elles n’auront pas les capacités d’appréciation et d’innovation indispensables pour se réinventer.

 

Les entreprises pour la Cité

 

En lien avec les 20 ans de la Charte de la diversité Make.org et France Travail ont décidé de mobiliser plus de 50 acteurs de la société civile (entreprises, associations, institutions, media…) pour lancer ensemble le 9 décembre 2024, la Grande Cause “Diversité & Inclusion dans le monde du travail”. Cette initiative vise à impliquer tout un écosystème pour favoriser une société plus inclusive.

Celle-ci démarre par une consultation citoyenne nationale où des centaines de milliers de citoyens sont invités à exprimer leurs priorités pour favoriser la diversité et l’inclusion dans le monde du travail.

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