Vingt ans après sa création, l’Observatoire des inégalités livre une nouvelle analyse lucide de la société française. Dans son rapport 2025, il met en lumière des inégalités toujours bien ancrées – qu’elles soient sociales, éducatives, professionnelles ou environnementales – et parfois en progression. Pourtant, une constante demeure : l’attachement des Français aux valeurs de solidarité. En témoigne le fait que 88 % d’entre eux rejettent l’idée que l’on ferait trop pour les plus pauvres. En vingt ans, le racisme assumé a été divisé par deux, tout comme la peur de l’immigration. Une société inégalitaire, mais qui continue de croire à la justice sociale : tel est le paradoxe que révèle ce rapport.
Principaux enseignements du rapport
Revenus & patrimoine : le poids de l’origine sociale
Le niveau de vie médian en France atteint 2 028 euros par mois, mais 5 millions de personnes soit + de 8% de la population vivent sous le seuil de pauvreté, fixé à 1 014 euros. Les 10 % les plus riches gagnent au moins 3,4 fois plus que les 10 % les plus pauvres. Et au sommet, les 1 % les plus fortunés perçoivent plus de 7 500 euros par mois..
Les inégalités ne se mesurent pas qu’en revenus. Le patrimoine creuse un fossé encore plus important : les 10 % les mieux dotés possèdent 163 fois plus que les 10 % les moins fortunés. Une concentration qui s’est accrue depuis 2010.
L’origine sociale est le plus puissant des déterminants dans les inégalités. Selon l’Observatoire, « les adultes ayant grandi dans une famille défavorisée perçoivent en moyenne 1 000 euros de moins par mois que ceux issus d’un milieu favorisé, à caractéristiques égales ». Ce chiffre dépasse largement les écarts liés au sexe ou à l’ascendance migratoire. Autrement dit, la France ne récompense pas tant le travail que le capital social.
Education : l’école de l’inégalité
L’école, censée être le moteur de la mobilité sociale, reste marquée par de profondes disparités. Moins d’un quart des jeunes de familles ouvrières accèdent à l’enseignement supérieur, contre plus des deux tiers des enfants de cadres. L’écart est visible dès la maternelle. Et si le taux d’illettrisme a chuté, la démocratisation de l’université est au point mort depuis 15 ans.
Un quotidien inégal jusqu’à l’espérance de vie
Les inégalités sociales se retrouvent dans les modes de vie. Les cadres partent trois fois plus au ski que les ouvriers, visitent davantage les musées, vivent dans des logements plus confortables. Ils bénéficient aussi de cinq années d’espérance de vie supplémentaires par rapport aux ouvriers.
Et si les enfants de familles aisées respirent parfois un air plus pollué – conséquence d’une vie urbaine dense –, ce sont les plus pauvres qui en subissent les effets les plus graves sur la santé, du fait d’un état général plus fragile et d’un accès plus restreint aux soins.
Inégalités territoriales : des écarts souvent surestimés
Le rapport rappelle que les inégalités entre territoires existent, mais qu’elles sont souvent exagérées dans le débat public. Le lieu de résidence joue un rôle, mais il ne détermine pas à lui seul la pauvreté ou la richesse d’un individu. Les inégalités territoriales recoupent surtout des inégalités sociales déjà existantes.
Si les écarts de niveau de vie entre régions existent, les inégalités sont souvent plus marquées à l’intérieur même des territoires qu’entre eux. Les quartiers prioritaires restent confrontés à une forte pauvreté, malgré des signes d’amélioration sur l’emploi. Les zones rurales souffrent d’un accès limité aux services et à l’emploi, tandis que les Outre-mer, en particulier Mayotte et la Guyane, cumulent les difficultés économiques et sociales.
Focus sur les inégalités au travail
Huit millions de personnes. C’est le nombre de Français en situation de « mal-emploi » : sans poste malgré leur souhait de travailler, ou piégés dans des contrats précaires. L’édition 2025 du Rapport sur les inégalités en France, lève le voile sur un monde du travail profondément inégalitaire, où les inégalités sociales ne se contentent plus de peser sur les salaires, mais marquent aussi les corps, les parcours, et les perspectives d’avenir.
Les chiffres sont implacables : 15,4 % des ouvriers peu qualifiés sont au chômage, contre seulement 3,7 % des cadres supérieurs. Un écart qui se retrouve dans la précarité de l’emploi : plus de la moitié des jeunes actifs sont en CDD, intérim ou contrat d’apprentissage, et ce sont les moins diplômés et les jeunes des quartiers populaires qui en paient le prix fort.
Chez les immigrés, les difficultés s’accumulent. 11,2 % d’entre eux sont sans emploi, soit presque le double du reste de la population. Et près de cinq millions d’emplois leur sont formellement inaccessibles, du fait de leur nationalité. Le chômage touche aussi durement les personnes handicapées, deux fois plus nombreuses à être privées d’activité.
Mais c’est surtout du côté des conditions de travail que les inégalités explosent. 69 % des ouvriers non qualifiés supportent au moins trois contraintes physiques (charges lourdes, postures pénibles, vibrations…). Et 40 % des salariés portent régulièrement des charges lourdes.
Le bruit, les produits toxiques, les horaires décalés viennent s’ajouter à cette pénibilité. Un tiers des ouvriers travaillent dans le vacarme permanent, contre seulement 6 % des cadres. Et 30 % des ouvriers qualifiés sont exposés à des produits cancérogènes, soit 16 fois plus que les cadres supérieurs.
Ces conditions usantes expliqueraient en partie pourquoi les ouvriers vivent moins longtemps que les cadres. En moyenne, un homme cadre de 35 ans peut espérer vivre 5,3 années de plus qu’un ouvrier du même âge. L’écart s’est cependant légèrement réduit depuis 20 ans.
Des efforts…
Le rapport salue certains progrès : la fonction publique a enfin atteint le quota légal de 6 % de travailleurs handicapés. Le taux de chômage baisse dans les quartiers prioritaires, les écarts de salaires femmes-hommes se réduisent lentement, et le racisme déclaré recule nettement.
Malgré des écarts bien réels, la bonne nouvelle est que la France demeure animée par un fort attachement à la solidarité et à l’égalité. Les chiffres du rapport rappellent que si les inégalités restent un défi, la conscience collective progresse. Et c’est là une base précieuse pour réduire les écarts.