Une nouvelle réglementation pour concilier transition écologique et simplification administrative

Dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, l’Union européenne a adopté plusieurs directives imposant aux entreprises de prendre en compte le changement climatique et de déclarer leurs émissions de carbone. Ces mesures visent à aligner l’UE sur les objectifs de l’Accord de Paris, signé en 2015, qui engage ses signataires à limiter le réchauffement climatique en réduisant les émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

Pour répondre à ces enjeux, l’UE s’est appuyée sur trois actions législatives majeures. Toutefois, face à la complexité croissante des réglementations, la Commission européenne a présenté, le 26 février, un plan de simplification législative, baptisé “Omnibus”. Cette initiative vise à réduire les charges administratives et à alléger les contraintes réglementaires, notamment en matière de reporting de durabilité et de devoir de vigilance, tout en maintenant le cap sur la transition écologique.

Mais en quoi cette réforme se distingue-t-elle des cadres existants ? Décryptage.

Pourquoi une nouvelle directive ?

L’Union européenne a progressivement renforcé son cadre législatif pour encadrer les pratiques durables des entreprises.

En 2020, elle adopte la taxonomie verte, un système de classification permettant d’identifier les activités respectueuses du climat.

En 2023, la directive CSRD impose aux entreprises de publier des informations sur leurs émissions de gaz à effet de serre et leurs pratiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Les grandes entreprises devront publier leurs premiers rapports en 2025 (sur l’année fiscale 2024), tandis que les PME et certains secteurs spécifiques suivront progressivement.

Dernière mesure clé, la CSDDD (CS3D), adoptée en mai 2024, renforce les obligations des entreprises en matière de devoir de vigilance sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. Cette directive vise à garantir que leurs fournisseurs respectent les objectifs climatiques et les droits humains. Toutefois, elle a suscité une forte opposition, et son adoption n’a été possible qu’après un rétrécissement de son champ d’application.

Si l’ensemble de ces mesures visent à renforcer la transition écologique et sociale, elles imposent aux entreprises un cadre de conformité exigeant et souvent complexe.

Face à ces difficultés, la Commission européenne souhaite alléger les contraintes administratives et harmoniser les obligations en matière de durabilité. La législation Omnibus s’inscrit dans cette volonté de simplification, s’appuyant sur le constat de Mario Draghi, selon lequel une réglementation excessive ferait perdre 10 % du potentiel de PIB à l’UE.

Cette réforme répond ainsi aux critiques de plusieurs États membres, dont la France, ainsi qu’à celles des acteurs économiques, dénonçant une bureaucratie lourde nuisible à la compétitivité. L’objectif est de regrouper et rationaliser les exigences des trois principales normes ESG en supprimant les redondances entre ces différentes réglementations et en clarifiant leur articulation afin d’offrir un cadre unique et plus accessible aux entreprises européennes.

Cette harmonisation permettrait aux sociétés de consacrer moins de temps et de ressources à leur mise en conformité, limitant ainsi les coûts liés au reporting.

L’un des autres objectifs est de rendre les données ESG plus comparables. En standardisant les informations publiées, les investisseurs, clients et autres parties prenantes disposeraient d’outils plus efficaces pour évaluer la performance des entreprises.

En conciliant simplification réglementaire et transparence, la directive Omnibus entend préserver la compétitivité des entreprises tout en maintenant les engagements environnementaux et sociaux de l’Union européenne.

Que prévoit la nouvelle directive Omnibus ?

Une version préliminaire du paquet de simplification Omnibus a été divulguée le 22 février, révélant des ajustements majeurs dans les exigences de reporting de durabilité. Le projet prévoit une réduction significative du nombre d’entreprises concernées par la CSRD, en relevant le seuil d’éligibilité aux sociétés de plus de 1 000 employés et générant un chiffre d’affaires annuel net supérieur à 450 millions d’euros. Cette révision rapprocherait la CSRD des critères déjà établis par la CS3D. L’obligation ne concernerait plus 50 000 mais 10 000 entreprises européennes, selon le décompte de la Commission.

Dans le viseur de Bruxelles, on retrouve aussi la directive européenne sur le devoir de vigilance, adoptée en 2024. Celle-ci impose aux entreprises de prévenir et réparer les atteintes aux droits de l’homme ou à l’environnement causées par leurs activités, y compris celles de leurs sous-traitants. En vigueur en France depuis 2017, cette mesure emblématique a déjà donné lieu à plusieurs procès.

La Commission propose finalement de reculer d’un an son application au niveau européen, initialement prévue en 2027. Là encore, Bruxelles souhaite réduire le périmètre de la directive : elle ne s’étendra plus à toute la chaîne de valeur d’une entreprise, mais sera restreinte au premier cercle de sous-traitants, c’est-à-dire aux partenaires directs. La commission prévoit aussi une réduction de la fréquence des rapports, un encadrement des sanctions financières et une limitation stricte des actions en justice civiles à l’encontre des entreprises.

Quels risques pour le Pacte Vert ?

Cette simplification était attendue par la majeure partie des organisations patronales en France, avec un soutien appuyé du Medef pour obtenir ce revirement de Bruxelles. Cependant, elle est vivement critiquée par de nombreux syndicats et ONG, qui y voient un recul en matière de protection de l’environnement et des droits humains

L’un des risques majeurs de cette évolution concerne le climat, car ces textes permettaient jusqu’à présent de contrôler la manière dont les investisseurs orientent leurs financements, notamment vers des projets liés aux énergies polluantes ou à des activités aggravant le dérèglement climatique. Leur disparition ou leur affaiblissement rendraient ces contrôles beaucoup plus difficiles.

Par ailleurs, cette remise en question soulève des inquiétudes du côté des consommateurs, qui souhaitent pouvoir identifier si les produits qu’ils achètent respectent les droits humains et l’environnement ou s’ils sont entachés de pratiques contestables.

Pour l’économiste, Jézabel Couppey-Soubeyran, maîtresse de conférences en économie à La Sorbonne, signataire avec 240 chercheurs d’une tribune d’opposition à la directive omnibus, en adoptant ces nouvelles mesures, l’Union européenne céderait au poids de certains lobbys, notamment du secteur bancaire, pétrolier et gazier : « Ce train de mesures est dicté par quelques secteurs réfractaires au changement, qui ne représentent pas la majorité des entreprises. Dans cette histoire, l’intérêt général a tout simplement disparu, au profit d’intérêts sectoriels. »

Pour s’appliquer, la « directive omnibus » doit d’abord être votée au Parlement européen et approuvée par les Etats membres. La France, cheffe de file sur le dossier, devrait valider cette nouvelle orientation.

La directive omnibus, présentée fin février 2025, marquera le début d’une renégociation en profondeur du cadre réglementaire du Green Deal. Reste à savoir si cet assouplissement permettra un équilibre entre compétitivité économique et engagement écologique, ou s’il signera un recul des ambitions européennes en matière de durabilité.

Partager
Retour en haut