Au printemps 2024, le CESE (Conseil économique, social et environnemental) a tiré la sonnette d’alarme sur les menaces pesant sur le tissu associatif français. Déjà fragilisé par la baisse des subventions publiques, l’inflation et une concurrence accrue entre causes, le secteur est confronté à une crise de pérennité.
Le CESE a formulé plusieurs recommandations pour enrayer cette dynamique : augmentation des subventions à 2,5 % du budget de l’État, privilégier les subventions pluriannuelles, clarifier la distinction entre subventions et commandes publiques, créer un fonds national de mobilisation pour la vie associative pour une meilleure prise en compte du secteur, simplifier les démarches administratives et valoriser le bénévolat. Mais la situation a empiré depuis.
Le monde associatif pèse 124 milliards d’euros, comprend 1,4 million d’associations, mobilise 12,5 millions de bénévoles (dont 5,5 millions actifs chaque semaine) et emploie 1,9 million de personnes répartis dans 150.000 associations employeuses, principalement dans les secteurs médico-sociaux. Pourtant, les financements publics qui représentaient à peine plus de la moitié des ressources financières des associations ont diminué de 40 % depuis 2005. Les associations doivent compenser avec des recettes d’activités ou de la générosité privée, qui ne représentent que 5 % de leurs ressources.
Aujourd’hui 62 % des associations déclarent qu’elles n’ont pas assez de financement pour réaliser leur objet social et 70 % d’entre elles ont développé une stratégie de collecte pour faire face.
La recherche de financements auprès des entreprises s’avère souvent difficile, en particulier pour les petites structures ou celles dont la cause est perçue comme marginale, politique ou trop militante. Ces associations manquent de moyens humains pour monter des dossiers, répondre aux appels à projets ou effectuer un suivi administratif conforme aux attentes des mécènes.
Cette logique de sélection par attractivité ou par rendement risque d’appauvrir le tissu associatif en marginalisant des causes essentielles mais peu visibles.
Tout cela pose la question du modèle de société que l’on veut défendre où la pluralité et la diversité des missions sociales des associations contribuent au pouvoir de transformation et d’innovation sociale.
Cependant, certaines entreprises engagées changent leurs pratiques : elles soutiennent des partenariats sur le long terme, prennent en charge les coûts de fonctionnement et instaurent des relations fondées sur la confiance et l’égalité avec les associations. Elles montrent qu’un autre modèle de mécénat est possible, plus respectueux de l’autonomie associative et du pluralisme des causes.
Trois exemples de causes marginalisées mais essentielles
- ProQuartet : pour soutenir la formation des jeunes musiciens et la création contemporaine
La culture a perdu son statut de priorité dans le mécénat d’entreprise, passant au 7e rang des causes soutenues (selon le dernier baromètre de l’Admical). La musique de chambre, en particulier, souffre d’un manque d’attention au profit des grandes institutions culturelles ou des musiques actuelles plus axées sur la diffusion. ProQuartet œuvre discrètement mais efficacement pour la formation de jeunes artistes et la création contemporaine. L’association agit sur le terrain en tissant des liens durables avec les territoires et les habitants.
Elle porte aussi la figure de l’« artiste citoyen » : des jeunes musiciens profondément ancrés dans leur époque, conscients des crises actuelles (climatique, sociale, politique) et désireux d’utiliser leur art pour contribuer à une société plus juste.
Soutenir cette association, c’est soutenir l’émergence professionnelle de jeunes interprètes, oser l’invention en soutenant la création contemporaine, c’est croire au compagnonnage, à la transmission, faire cause commune autour d’une ambition culturelle et humaine.
- Voisins & Soins : pour une santé durable et l’autonomie des personnes âgées et gravement malades
La question de la fin de vie, ravivée par le débat sur l’aide à mourir, met en lumière les carences de l’offre de soins palliatifs. Selon les experts, 30 à 40 % des moyens humains et financiers font défaut. Plus de la moitié (53%) des 400 000 personnes nécessitant des soins palliatifs chaque année n’y ont pas accès, surtout à domicile – alors que 85 % des Français souhaitent finir leurs jours chez eux.
L’association Voisins & Soins propose un modèle innovant, fondé sur des équipes de proximité, mixte et pluridisciplinaires mobilisées à l’échelle du quartier ou de quelques villages. Ces équipes composées de médecins, d’infirmiers, de psychologues et de bénévoles formés ont, depuis 2017, accompagné plus de 750 personnes en fin de vie et 1 450 aidants. Les résultats sont significatifs : 62 % des accompagnés décèdent chez eux, contre 15 % en moyenne nationale, avec un coût quatre fois inférieur aux hospitalisations classiques. L’association agit aussi pour prévenir l’épuisement des aidants, un enjeu encore trop peu pris en compte par les politiques publiques comme par les entreprises, alors que 1 salarié sur 6 est concerné, souvent sans reconnaissance ni soutien. Ce constat mène à un chiffre alarmant : 1 aidant sur 3 meurt avant la personne accompagnée d’épuisement physique et/ou moral.
Le soutien des entreprises est essentiel pour renforcer l’action publique, car les besoins en la matière dépassent largement les capacités de l’État. Il s’agit également d’un levier pour combattre les préjugés, l’âgisme et le validisme, tout en favorisant l’innovation sociale. En s’engageant ainsi, les entreprises participent à la diffusion d’un modèle solidaire, adapté aux territoires, et contribuent à rendre la fin de vie à domicile accessible à toutes et à tous.
- Programme LEVIER : pour l’intégration professionnelle des réfugiés
Le programme LEVIER, porté par l’association Les entreprises pour la Cité, accompagne les réfugiés dans leur insertion professionnelle. Bien qu’autorisés à travailler, seuls 42 % des réfugiés (et 22 % des femmes) trouvent un emploi un an après leur arrivée, à cause de nombreux obstacles : langue, diplômes non reconnus, méconnaissance du marché du travail, fracture numérique.
LEVIER propose un accompagnement global, avec des parcours personnalisés et un espace dédié aux femmes réfugiées. Les résultats sont encourageants : près de 70 % des participants trouvent un emploi. Pourtant, cette cause reste très peu soutenue par le mécénat privé (seulement 2 % des dons), en raison de stéréotypes persistants et d’une image négative dans le débat public. Pourtant, de nombreux réfugiés sont hautement qualifiés et représentent un vivier de talents inexploité.
Si des entreprises choisissent aujourd’hui de soutenir LEVIER, c’est d’une part pour répondre à la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs, d’autre part pour contribuer activement au bien commun et à l’intérêt général. C’est aussi, et surtout, un moyen de renforcer leur marque employeur tout en s’adaptant aux attentes d’une nouvelle génération de travailleurs, en quête de sens dans leur vie professionnelle.