Comment l’écriture inclusive a émergé dans le débat public

Depuis une dizaine d’années, l’écriture inclusive s’est imposée comme un sujet récurrent de discussion en France. Universitaires, linguistes, élus et acteurs culturels débattent de l’avenir d’une langue où le masculin constitue la forme de référence lorsqu’il s’agit de désigner un groupe mixte. Portée par une attention grandissante aux questions d’égalité, cette évolution soulève autant d’adhésions que de réserves.

Une question linguistique devenue sociétale

La réflexion sur l’écriture inclusive s’inscrit dans un mouvement plus large visant à questionner la place des femmes dans la langue. Plusieurs travaux en psycholinguistique montrent que l’emploi du masculin générique conduit souvent les lecteurs à imaginer d’abord des hommes, phénomène observé en français comme dans d’autres langues européennes. Ce biais peut influencer la manière dont les femmes se projettent dans certains domaines professionnels, notamment lorsque les métiers sont exclusivement formulés au masculin.

L’écriture inclusive recouvre en réalité un ensemble de procédés, que l’on peut regrouper en deux grandes catégories : la féminisation, visant à rendre visibles les formes masculines et féminines, et la neutralisation, qui cherche à contourner la référence au genre.

– La féminisation rend visible le genre féminin par la double flexion : on désigne explicitement les femmes et les hommes au moyen de deux noms distincts. (« étudiants et étudiantes »), par des formes abrégées (« étudiant·e·s », « étudiant(e)s ») ou par la féminisation des professions (« professeure », « directrice »).
La neutralisation cherche au contraire à contourner la question du genre par des termes épicènes (« scientifique », « architecte »), par des noms collectifs (« l’équipe », « la population étudiante ») ou par l’emploi de mots génériques (« personnes », « individus »).

Des études ont souligné que les formulations mentionnant explicitement les deux genres, comme « étudiants et étudiantes », sont celles qui réduisent le plus efficacement les stéréotypes de genre. L’hypothèse avancée est que la féminisation oblige le lecteur à envisager simultanément la présence de femmes et d’hommes, ce qui favorise une représentation mentale plus équilibrée. À l’inverse, les formulations neutres (par exemple « élèves ») ne donnent aucune indication sur le genre et laissent davantage place aux stéréotypes lors de l’interprétation.

Ces résultats suggèrent que la féminisation peut profiter à l’ensemble des publics, en élargissant les possibilités de projection professionnelle pour les femmes comme pour les hommes dans des domaines traditionnellement genrés.

Point médian : un usage contesté par les institutions

L’extension de ces usages ne s’est toutefois pas faite sans heurts. L’Académie française se prononce dès 2017 contre l’écriture inclusive, dénonçant une « langue désunie » et un risque d’illisibilité. Depuis, plusieurs prises de position politiques ont renforcé cette ligne. En octobre 2023, le Sénat adopte une proposition de loi visant à limiter l’usage de cette écriture dans les textes administratifs, estimant qu’elle nuit à la lisibilité et à l’apprentissage.

Dans le même esprit, une circulaire de 2021, proscrit l’usage du point médian dans l’école, au nom de la maîtrise du français par les élèves, tout en encourageant la féminisation des fonctions et la lutte contre les stéréotypes dans les supports pédagogiques. Les études soulignent en effet que ce signe typographique complique la lecture pour notamment les élèves souffrant de troubles « Dys » (dyslexiques, dysorthographique) et pour les lecteurs débutants, du fait de la rupture visuelle qu’il introduit dans les mots.

Quand les marques s’en emparent : réception contrastée

Une expérience menée auprès de consommateurs consistait à leur présenter une publication d’une marque de jus de fruits, rédigée selon différentes formes d’écriture inclusive. Les résultats montrent que, dans l’ensemble, les hommes ne réagissent pas différemment à ce type de message qu’à une formulation classique : leur perception de la marque, leur attitude et leur intention d’achat restent globalement stables. Un élément ressort toutefois : lorsque la marque explicite sa démarche ( par exemple en précisant qu’il s’agit d’un choix en faveur de l’égalité ou de l’inclusivité) l’accueil masculin tend à devenir plus positif.

Les femmes, de leur côté, manifestent en moyenne une attitude plus favorable envers la marque lorsqu’elle utilise l’écriture inclusive. Elles la jugent plus en phase avec leurs valeurs et se disent plus susceptibles d’acheter le produit. Ce soutien n’est cependant pas uniforme. Les femmes adhérant à une vision plus traditionnelle des rôles genrés se montrent davantage réservées, en particulier lorsque l’écriture inclusive prend la forme contractée (point médian) ou non genrée.

L’étude souligne d’ailleurs que le point médian est la forme qui suscite le plus de réactions négatives. Comme pour les hommes, une explication sur le sens de la démarche contribue néanmoins à améliorer la réception, même parmi les publics initialement sceptiques.

Ces résultats rappellent que la langue possède une dimension idéologique forte et que le masculin continue souvent d’être perçu comme neutre. Ils mettent également en évidence une ligne de fracture au sein même du public féminin, qui ne constitue pas un bloc homogène : celles attachées aux normes linguistiques traditionnelles apparaissent comme les plus résistantes au changement.

Si l’écriture inclusive continue de susciter débats et prises de position, elle montre aussi que la langue française dispose de ressources internes pour évoluer sans perdre en clarté. La féminisation des titres, les doublets, ou encore l’usage de termes épicènes constituent des alternatives déjà opérationnelles et accessibles à l’écrit comme à l’oral. À l’inverse, le point médian demeure un outil délicat, notamment pour les personnes dyslexiques, malvoyantes ou en apprentissage de la lecture, pour qui il peut représenter un obstacle. L’enjeu réside peut-être moins dans l’adoption d’une forme unique que dans le choix réfléchi des usages selon les contextes. Entre inclusivité et lisibilité, un équilibre reste à construire.

Les entreprises pour la Cité

SOURCES :

The Conversation “Utilisation de l’écriture inclusive par les marques : indifférence des hommes, soutien nuancé des femmes” – Novembre 2025

Etude “Langage non sexiste sur les réseaux sociaux : effets sur les attitudes et l’engagement des consommateurs” Emerald Insight – juillet 2025

CNRS – Le journal “L’écriture inclusive par-delà le point médian” – février 2024

Le Monde “Lé sénat veut l’interdire pour protéger la langue française” – Octobre 2023

Pour aller plus loin : “La communication inclusive” – Les entreprises pour la Cité – Juillet 2025 

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